Primordial Arcana
Wolves in the Throne Room
Il est presque tragi-comique que Wolves in the Throne Room sorte un album le même jour que Deafheaven. Ces derniers, fers de lance qu'ils furent du blackgaze, se sont notamment appuyés sur les premiers pour renverser la table du black metal à l'orée des années 2010. En 2021, quand Deafheaven abandonne à peu de choses près ses racines black metal, Wolves in the Throne Room propose son œuvre la plus clairement influencée par le genre.
Depuis sa création en 2002, le groupe formé par les frangins Nathan et Aaron Weaver constitue le porte-étendard du Cascadian Black Metal, une scène située au nord-ouest des États-Unis qui s'inspire d'Agalloch (également de la région) ou Weakling, et qui prône un retour à la nature et témoigne d'un certain dédain pour la modernité. Cette philosophie est profondément liée au lieu d'origine du groupe : la Cascadie est une biorégion qui s'étend du nord de la Californie jusqu'en Alaska. La musique de cette scène incorpore donc une esthétique folk remémorant les forêts ancestrales de la région, accompagnée d'atmosphère post-metal signifiant la physionomie grisâtre des lieux, et fignolée par une touche de black metal pour la violence des tempêtes de neige.
L'aspect naturel de l'album se fait ressentir dans la production cristalline permettant à chaque élément de faire entendre sa présence de la façon la plus organique possible. Que cela soit les grattements de cordes sur "Spirit of Lightning", la flûte de "Eostre", ou la présence quasi constante de synthétiseurs, Primordial Arcana semble tout droit sorti des entrailles de la Terre. À noter qu'en sus des deux frères, le groupe est également composé du chanteur et guitariste Kody Keyworth, anciennement du groupe de funeral doom Aldebaran et qui ici reçoit ses premiers crédits de composition. Seuls deux autres musiciens sont invités : le bassiste Galen Baudhuin de Infera Bruo, et l'écologiste Yianna Bekris, du one-woman projet Vouna, qui joue ici du synthétiseur ainsi que de la guitare acoustique. Leur présence continue joue un rôle prépondérant dans cette avalanche d'éléments qui viennent nuancer la musique du groupe.
Au niveau du lyrisme, on retrouve également les mêmes thèmes qu'auparavant : ici, l'on discute des choses grandes et belles allant au-delà de la civilisation humaine. Les paroles se lisent comme d'anciennes prières et incantations appelant aux dieux-cerfs et à des volcans avalant des glaciers. Rien de bien nouveau sous le soleil au premier abord, mais le groupe a considérablement modifié sa formule. Ainsi, "Mountain Magick" démontre sa nouvelle capacité à écrire une chanson dans un canevas conventionnel : une intro ambient se transforme en une furie black metal répétant certaines parties, sans pour autant abuser sur la répétition. L'atmosphère est digne d'un rituel, mais contrairement à ce à quoi le groupe nous avait habitué·es par le passé, on ne retrouve pas leur fameux caractère dépressif : "Mountain Magick" (et Primordial Arcana dans son ensemble) est optimiste et exaltant.
Non pas que leurs funèbres exactions se soient vues réduites à leur strict minimum : "Through Eternal Fields" ralentit le tempo avec ses différents aspects tribaux : chants clairs monastiques, batterie tribale et corne, tandis que "Primal Chasm (Gift Of Fire)" fait lui dans la rage chaotique supportée par une grandiloquence symphonique, mélangeant des influences comme Darkthrone et Emperor. On retrouve toujours la puissance du groupe, mais c'est justement de par l'ajout d'autant d'éléments que l'ensemble, à première vue moribond, se pare de beauté. "Spirit of Lightning" mélange une production Wall of Sound – que le groupe a lui-même réalisé – avec des cordes et synthés qui ne font que doucement sentir leur présence, mais qui enrichissent le black metal du groupe en un ensemble plus puissant encore. C'est dans ces moments que le groupe appelle à une atmosphère qui n'a pas été aussi prenante depuis leur magnum opus, Two Hunters.
C'est surtout avec les deux derniers titres (et demi) que le groupe va au bout de sa propre formule. "Underworld Aurora" se construit sur les synthés cosmiques de la période Celestite, les guitares jouant plus le rôle de complément que de base mélodique – de nouveau un rappel à certaines de leurs influences, comme Burzum ou Drudkh, sauf que, contrairement à ces deux groupes, Wolves in the Throne Room ne mélange pas son idéologie anti-moderne avec une nauséabonde hiérarchie de race. "Masters of Rain and Storm", le seul titre à dépasser la dizaine de minutes, se rapproche davantage de la sonorité "classique" du groupe, mais avec cette fois-ci une attention plus particulière sur la prépondérance de riffs viscéraux par rapport à l'atmosphère globale. Et en plein milieu de cette avalanche de riffs intervient une pause acoustique, qui permet à la batterie et aux guitares d'être encore plus viscérales qu'elles ne l'étaient auparavant.
Ce qui frappe à l'écoute de Primordial Arcana, c'est à quel point toutes les époques du groupe fusionnent en un tout cohérent. Les envolées ambient que l'on trouvait dans Celestite font ici partie intégrante du paysage sonore, et la place laissée aux instants acoustiques permet aux moments de pure brutalité d'avoir encore plus d'impact, portant en eux une mélancolie quasiment optimiste – qualité que l'on retrouve également chez (ah, tiens) Deafheaven. C'est peut-être là que se trouve toute l'ironie de cette double sortie : alors que les uns semblent se débarrasser des derniers vestiges de leur racines black metal, Wolves in the Throne Room les renforce en insérant une dualité mélancolie/optimisme venant tout droit du catalogue Deafheaven. Le résultat est le type de musique que le groupe nous avait laissé entrevoir au fil des années, concrétisant enfin son ambition avec une œuvre qui nous semble être la plus riche à ce jour.