Prelapsarian
Krallice
On a beau vanner les groupes qualifiés de hipster black metal, les précurseurs du genre n’ont plus grand chose à craindre des petits chroniqueurs qui voudraient s'attaquer à leur authenticité ou à leur légitimité sur la scène métal. Si on exclut Liturgy, groupe infecte aux poses théoriques minables et à la musique ridicule, les porte-drapeaux du black metal « laïc » s’en sortent avec tous les honneurs qu’on réserve aux groupes qui ont véritablement influencé leur époque. C’est peut-être ça qui couronne de classe les discographies de groupes comme Wolves In The Throne Room, d’être un nouveau genre dans le genre, d’avoir su imposer une nouvelle tendance dans une scène dont le public peut être, quand il le décide, affreusement borné. Et tout cela, uniquement à force de grands disques. Parce qu’avec cinq disques et deux EP’s en huit ans d’exercice, les Ricains de Krallice ont fait taire tout le monde. Mais plus que la régularité, c’est bien cette inébranlable qualité et cette force dans leur écriture qui en ont fait des incontournables du genre.
Sorti sans réelle annonce préalable et sans aucun support promo (comme tout le reste de leur discographie), Prelapsarian se veut court, intense et synthétique. Mais surtout, comme à son habitude, Krallice ne laisse pas un centimètre carré de sa musique à la critique. Connu pour son hybride black metal / math-rock / prog-metal, Krallice étonne désormais par son réalisme. Alors que la scène hipster black metal se veut souvent normcore et embrigadée dans des concepts abstraits, cosmiques et même astrologiques (allez voir la théorie du black metal transcendental de ce couillon fragile de Hunter Hunt-Hendrix), Prelapsarian est absolument concret, terre-à-terre. Son écriture est plus straight to the point que jamais; le disque ne s’embarrasse pas d’une narration en chapitres voulue par un habillage progressif et le résultat agit dès lors comme une blitzkrieg dans ton salon.
La meilleure preuve de cette immédiateté réside dans « Hate Power », brûlot de moins de quatre minutes (là où le groupe est habitué à dépasser la dizaine de minutes sur chaque titre) qui vire un peu le black metal pour gicler entre post-hardcore et death-metal, le mecs hurlant comme des pourceaux dans le noir le plus complet. Pour le coup, on est plutôt à Alep que dans le dernier Star Wars. Pour le reste, et bien Krallice fait du Krallice : c'est impeccable, technique au possible, équilibré et vibrant. Le groupe vit magnifiquement son histoire en dehors des sentiers battus. Reste à voir si on pourra dire la même chose de Deafheaven et Oathbreaker dans quelques années.