Post Pop Depression
Iggy Pop
L’annonce de ce Post Pop Depression regroupant Iggy Pop et Josh Homme a sonné comme la réunion de deux poudres hautement explosives qui ont collapsé pour faire péter le labo. Très vite, de ce secret bien gardé on s’est imaginé les plus belles heures d’Iggy après les déclarations du leader des Queens Of The Stone Age allant dans ce sens. Celles d’une période de sevrage en collocation avec David Bowie à Berlin, celle d’un nihilisme où la mort attendait de chaque côté du Mur mais qui a surtout accouché d’albums radicaux, minimalistes et essentiels. D’un côté, la fausse "Trilogie berlinoise", de l’autre le doublé The Idiot / Lust for Life.
Et disons-le tout de suite, le résultat de Post Pop Depression pourrait se situer entre Lust For Life et The Idiot, ce dernier ayant fait passer Iggy Pop d’un artiste en reconversion à un synonyme d’une expression viscérale que chacun possède en soi. Depuis, Iggy Pop nous colle à la peau et incarne à lui seul une certaine conception du rock.
Et peu importe qu’il fasse depuis des pubs où on a mal pour lui, qu’il créé un précédent en s'inventant un personnage de crooner façon Guy Marchand pour Préliminaires, Iggy nous prouverait bien un jour ou l’autre qu’il n’est pas cette caricature que les publicitaires voient en lui mais bien l’homme qui a embrasé le rock avec The Stooges. Et ce jour est arrivé.
Iggy Pop n’est pas seulement l'Iguane se dandinant sur scène, il est aussi une bête sauvage plus difficile à amadouer, plus complexe. Une bête qui aime s'affranchir des étiquettes qu’on lui a collées et qu'il fait vivre en s'amusant avec la puissance de sa voix.
Post Pop Depression se dévoile aujourd’hui comme l'album de James Österberg, mais aussi un peu comme un album de Josh Homme, qui apporte dans ses bagages son univers, son jeu de guitare, la lourdeur de la basse et la patte qui a fait à la fois son succès et sa marque de fabrique. Pas étonnant donc si on retrouve des éléments et des formules rythmiques qui sonnent comme des rappels à des productions précédentes - notamment au supergroupe Them Crooked Vultures où John Paul Jones faisait figure de 'guest' d’une époque révolue, et même aux Arctic Monkeys période Humbug.
Mais plutôt que de ressembler à "l’album d’un producteur" ou à celui d’un groupe à part entière (on vous rappelle qu'il est également flanqué de Dan Fertita des QOTSA et de Matt Helders des Arctic Monkeys), Post Pop Depression est bel et bien un album de l’ancien chanteur des Stooges. Il y apparait conscient du temps qui passe et de sa vieillesse, marquée par des rides sur un corps musclé et mutilé par les excès. "I’ve nothing but my name" chante-t-il sur "American Valhalla". L’Iguane n’a plus rien à perdre ou à prouver, sa notoriété étant déjà inscrite dans tous les livres d'histoire du rock.
Iggy est à nu, et pas physiquement cette fois. Entre Valhalla, lieu pour les guerriers défunts dans la mythologie nordique, et "Paraguay" avec ses envies d'ailleurs, Iggy Pop parle clairement de retrait en chantant "I'm gonna go to Paraguay / To live in a compound under the trees / With servants and bodyguards who love me / (…) to somewhere where people are still human beings / Where they have spirit". Dans les faits, on le retrouvera sûrement dans sa cabane en Floride entre sa chaise longue et sa Ferrari, loin de l’hôpital psychiatrique qu’il avait fréquenté jadis.
Iggy Pop veut peut-être se retirer du monde médiatique, mais il lui fallait une sortie digne de son personnage. En contactant Josh Homme, l’Américain savait ce qu’il voulait pour la réaliser et désirait surtout créer en toute liberté. La volonté du grand rouquin d’offrir au vieux reptile un album digne de ses illustres cousins berlinois est là et le résultat navigue sûrement entre les deux disques évoqués un peu plus haut - bien qu'on note parfois de légères lourdeurs. Tout le monde espérait un Lust For Life 2.0 et en même temps quelque chose d'autre, compte tenu du potentiel de l’union sacrée. On a finalement droit à un album burné — dont l’appropriation par Iggy Pop du cadre posé par Josh Homme est éclatante —, qui interroge beaucoup par les différents sens et lectures qu’on peut lui donner.
La joie de voir cette association, finalement naturelle, contrebalance avec la peine des annonces du chanteur désarticulé à se retirer du jeu. « I’m a wreck / What’d you expect? » veut-il nous faire croire. Seul le temps décidera de la place à accorder à cet album dans l’histoire du rock autrement que pour son caractère crépusculaire. S’il s’annonce comme une épitaphe, on ne peut cependant que saluer cette sortie et autoriser l’Iguane à nous lâcher pour aller siroter quelques cocktails, profiter du soleil, au calme, loin des tumultes de son incroyable carrière. Qu’on le surnomme encore par un petit nom d’animal ou « the last of the ones and onlys », Iggy n’en a que faire, il se montre ici humain après tout.