Portamento
The Drums
Cadrer les Drums, c'est réciter les grandes heures de la pop britannique. Sans honte, sans gêne, sans tomber dans le piège de la référence gratuite, de la comparaison systématique. Il s'agit juste de ne pas chercher midi à quatorze heures, d'éviter de prendre une multitude de détours pour clairement dire ce qui est : dans le genre revivaliste, photocopies eighties, ces mecs cartonnent. C-86 en 2011, la mèche fière, les Drums sont au Manchester et au Liverpool new-wave, à sa pop « cristalline », élégante et sombre, ce que les Black Lips sont au rock bouga-bouga ou Sonic Youth au « bruit blanc ». L'expression contemporaine d'idées musicales déjà anciennes, en fait, les meilleurs dans l'art de répéter ce qui a déjà été dit il y a 25 ans. Oui, ces mecs singent les Smiths, Felt et Joy Division, ainsi qu'une ribambelle d'autres depuis tombés dans l'oubli, quelque part sous la poussière, au fond de la cave dans une caisse de cassettes aux titres jadis conseillés par le Melody Maker. Via leurs albums, surtout celui-ci, ces Américains expriment pourtant moins une connaissance savante des disques anciens qu'un certain romantisme juvénile nettement plus intemporel. Arrogant, fondamentalement prolo bien que lettré, un peu voyou, un peu torturé, un peu frimeur. Tout ce que l'on attend d'un disque anglais à guitares, en somme, du moins quand on nourrit un certain penchant pour l'art-rock.
Faut dire ce qui est, au départ du second guitariste Adam Kessler, claquage de porte qui avait officiellement « dévasté » le groupe, personne n'aurait véritablement donné cher de la survie du trio de Brooklyn. Leur semblait, au mieux, promis un destin à la Art Brut ou Good Shoes, groupe aux sonorités proches. En gros, s'être fait remarquer mais ne plus retrouver le mojo, ne pas parvenir à décoller, se répéter continuellement, décevoir les spéculateurs, passer pour une hype morte, ne pas s'affranchir de la recette qui consiste ici à mélanger Joy Division à Pale Fountains en saupoudrant le tout d'un zeste de grandiloquence tarlouze. Mais, merci Fukushima, 2011 est une année mutante, celle où les pires têtes de cons laissées aux vautours se transforment soudainement en phénix des hôtes de Last FM.
Après Metronomy et son English Riviera inespéré, Portamento des Drums est en effet l'autre réussite majeure de ces derniers mois, complètement inattendue, garante de plaisirs, porteuse d'espoirs, génératrice de fantasmes. Petit groupe devenu grand, du moins le temps d'un album, The Drums viennent de sortir un putain de disque, assurément parmi les meilleurs de l'année. Ils ne se sont pourtant pas réinventés. Leur patte reste totalement reconnaissable et il est vrai très maniérée. C'est l'ampleur qu'ils se sont trouvée qui séduit, cette stature, cette assurance. La classe de produire des pop sings simples et imparables, faciles à chanter mais néanmoins glaçantes, fédératrices sans renier les émotions troubles. Aujourd'hui, les Drums ne sonnent plus comme un petit groupe sympathique aux oreilles new-wave, il défonce la porte du niveau supérieur, se fait plus universel, se permet même une ou deux envolées que ne renierait pas Radiohead. C'est donc une belle évolution ainsi qu'une passionnante redistribution des cartes du Tarot. Parce qu'il est désormais clair qu'au moment de tuer le père et de voler de leurs propres ailes, oser l'indépendance par rapport aux trop flagrantes influences, ces trois-là pourraient bien accoucher d'une véritable bombe atomique. En attendant, ils ont Portamento, déjà et pour longtemps, pas le moindre des missiles de croisière...