PORŒS
Simon Grab & David Meier

Ce qui est marrant au billard, ce n'est pas d’apprécier sa propre connaissance des bords rectangulaires, c’est d’essayer d’y accoler une sphère. On peut inventer toutes les règles du monde, la règle principale des jeux les plus célèbres et célébrés sur cette planète – je parle du foot comme du joystick – c’est que c’est rond, et donc que malgré des mois, des années, des décennies d’expérience, la possibilité de passer complètement à côté de son coup est toujours possible. Elle est même essentielle, puisque c’est exactement ce qu’on attend frénétiquement devant nos écrans. Ce spectre du hasard, il hante la musique sous le nom d’erreur. Du moins, c’est comme ça que l’appelle Simon Grab, producteur suisse et nouvelle recrue de -OUS Records, qui sort en ce mois de février une très intrigante collaboration avec David Meier, mieux connu comme étant le batteur du groupe Schnellertollermeier.
Sur PORŒS, le premier réinvestit l’essentiel de son propos musical habituel, en cherchant justement à créer du hasard là où l’électronique en musique consiste justement à le museler. Loin de chercher à maîtriser l’ensemble des paramètres que les machines actuelles proposent (on ne parle même pas du full-numérique), Simon Grab procède par multiplication des procédés. Tiens, et si on ajoutait cet effet ? Puis cet effet ? Et un autre, et encore un, jusqu’à ce que, par addition, la multiplication intervienne, changeant la nature du son entre ce qui a été pensé en amont et ce qui est produit en aval. En cela, la musique de Simon Grab est toujours fondamentalement rythmique – étant donné que la recherche randomisée de mélodies est auditivement vite répétitive, et que la sienne s’écoute surtout en terme de "qu’est-ce qui émerge comme sonorité et quand". Il suffit de prendre un de ses titres solo, comme « The New Kind », paru en 2019, pour s’en rendre compte.
Pas très étonnant donc de le retrouver en collaboration avec David Meier. Déjà parce que ce n’est pas son premier batteur (il a par exemple travaillé avec l’artiste de musiques improvisées Simon Berz il y a quelques années), mais aussi parce que Meier a l’habitude de jouer avec des musicien·nes qui prennent au sérieux la rythmique même hors des percussions. Schnellertollermeier en est le parfait exemple.
PORŒS est le produit de cette machine rythmique très organique, s’imposant dans des sonorités que la musique de synthèse parvient encore à conserver dans le champ des étrangetés inhumaines, mais les dispose avec ce soupçon de hasard qui caractérise si bien les êtres vivants. Modes d’expression autant que laisser-aller, les titres s’enchaînent dans une certaine homogénéité certes, mais en révélant au fur et à mesure de belles possibilités. Comme les yeux qui s’habituent à l’obscurité, on apprend à lire dans le bruit de ce disque, à entendre de la tendresse dans « Mafic », une ville en ébullition dans « Glow », la mitose des cellules dans « Felsic ».
Vous ne serez probablement étonné·es par rien dans PORŒS, et c’est peut-être aussi bien son but : mêler l’étrange au même si finement qu’on croit lire la vie dans la machine. Poreux, donc.