Podgelism
Lusine
Aborder un album de remix revient toujours à s’exposer à une éventuelle déception, sans doute la peur de voir le travail de nos artistes préférés se faire hacher menu par des producteurs aux relectures douteuses, ou tout simplement de voir nos hymnes tant adulés modifiés, ne serait-ce que d’un iota. Jeune producteur de Seattle, Lusine (poulain prometteur de l’inévitable écurie de Matthew Dear aka Audion, Ghostly International) avait étonné avec un album généreux (Serial Hodgepodge) sorti en 2004. Jusqu’ici rien de neuf si ce n’est que le bonhomme fait le choix étonnant de proposer ses meilleurs titres à qui le veut pour sortir une sélection des remix en guise de nouvel opus. Apparemment, sortir un album de haute volée comme le fut Serial Hodgepodge a de quoi attirer à ses côtés des amis plus qu’enviables quand on sait que les volontaires pour ce nouveau tour de force ne sont pas moins qu’Apparat, Matthew Dear, Cabanne, John Tejada ou encore Robag Wruhme, bref une belle brochette de ténors minimal-house qui sont ici conviés pour redonner, s’il le fallait, une nouvelle jeunesse à ces onze titres présents sur l’album.
Le démarrage commence en force avec Apparat qui nous assène une déferlante de rythmes rapides aux sonorités crépusculaires, effets stroboscopiques au menu donc pour assurer une immersion immédiate de l’auditeur. John Tejada joue la carte de la sobriété pour un trip minimal de très bonne facture malgré sa relative simplicité. Vient le tour de Matthew dear et de son incommensurable talent dont il se servira sans vergogne pour créer une ambiance oppressante et tendue. Avec lui, l’air se vicie et le tableau s’assombrit encore un peu plus. Rien de rassurant. Les interventions de Lusine lui-même (« Still Frame », « Flat », « Falling In ») haussent encore plus un niveau déjà titanesque grâce à des tracks qui hésiteront sans cesse entre electronica, abstract hip-hop et minimal techno pour délivrer deux bombes rétro-futuristes. Cepia, lui, choisit la voie de l’évasion pour investir des ambiances spatiales et infiniment lointaines, bande originale d’une odyssée sublunaire. Seule, peut-être, l’interprétation de Dimbiman assisté de Cabanne semble au-dessous du lot malgré une prestation qui apparaît comme satisfaisante mais qui souffrira de la comparaison avec les autres titres absolument sublimes. L’ensemble des titres se recouvrent par leurs profondes mélodies, rêveuses et torturées, soutenues par des ossatures rythmiques coupées au couteau (pour mieux être recollées) : ainsi, les breaks et les cuts ne semblent provenir de nulle part ailleurs que de la source même, comme fusionnés à l’origine. Onze titres pour autant de pièces miroitantes, mises en mouvement avec finesse et cohérence : sorte de galeries aux miroirs déformants où la réalité semble perdre pied, où l’imminence d’une fracture est omniprésente.
Plus que onze remix, il s’agit là d’une refonte appréciable des travaux précédents de Lusine pour un résultat final de qualité, preuve rassurante qu’on peut encore attendre quelque chose de ce genre d’essais, souvent bâclés au regard de Podgelism...