Persona
Rival Consoles
Voilà maintenant plusieurs années que mes oreilles sont principalement acquises à la cause du jazz. Et parfois, il faut l’admettre, les antiques instruments à anche finissent par me donner envie de remonter dans le temps et de faire bouffer à ce cher Adolphe Sax sa géniale invention. Dans ces moments-là, rien de tel qu’une petite prescription de musique électronique pour me rappeler que je vis, comme tout le monde, en 2018. Ce matin était justement de ces moments-là. Problème : à part Boards of Canada ou Moderat, le has been que je suis n’avait pas grand-chose à mettre sous le bras de sa Technics.
Je m’en suis donc allé rendre une petite visite à mon disquaire préféré avec la ferme intention d’y laisser mes derniers radis. Pour seule consigne, je lui demande un truc récent, des basses, des nappes et des beats. Quelque chose d’efficace, juste ce qu’il faut de boum-boum et de l’émotion. Il me faut toujours de l’émotion. Puisque c’est un très grand professionnel, la réponse de mon vendeur fuse : « On a rentré le nouveau Rival Consoles ». Pour ne pas perdre la face, je joue le gars qui connaît et prend un air genre « curieux d’entendre ce nouvel opus après les belles promesses du précédent ». Evidemment je ne sais pas de quoi il parle, ni qui se cache derrière ce nom étrange qui, pris au mot, évoque surtout pour moi la guerre entre Sega et Nintendo. D’ailleurs je ne sais même pas si Rival Consoles est un bidouilleur solo, un duo ou un groupe. Bref, la seule chose avérée dans mon petit manège est que je suis curieux d’entendre.
Accoudé au comptoir, je pose le disque sur la platine, j’enfile le casque et commence à m’imprégner du premier morceau, « Unfolding ». Le tissu des basses me réchauffe immédiatement ; l’aridité des synthés me gèle ; je suis à parfaite température et commence déjà à confondre le battement des machines avec mon rythme cardiaque. Pour le dire plus prosaïquement, c’est efficace avec juste ce qu’il faut de boum-boum et d’émotion. Ce Persona démarre bien et semble répondre à mes voeux. J’enchaîne avec le titre éponyme qui me rappelle au bon souvenir de Chris Clark que j’admirais tant avant de tomber dans les affres de la musique de vieux. Même constat, même efficacité redoutable, je fonds lentement. Pas la peine d’aller plus loin, j’arrête la lecture, repose le casque, intime l’ordre à mon interlocuteur de me mettre ça de côté le temps d’aller voir où est passée ma fille que j’ai un peu oubliée pendant mes cinq minutes de kif.
Heureux d’avoir retrouvé cette dernière et délesté de 30 balles, je repars chez moi. Une fois le disque à sa place, je saute la première face qui m’a déjà convaincu pour attaquer directement la side B. L’impression est à nouveau excellente entre le sautillant « Phantom Grip » et le paisible et bien nommé « Be Kind ». J’attaque le versant C et vibre une fois de plus de tout mon être devant la désarmante beauté de l’ambient « Untravel ». L’ultime face dont il faut retenir le progressif « Hidden » ne faiblit pas. Bref, à part l’artwork un peu moche à mon goût et peut-être un certain manque de variété après plusieurs écoutes, cet album est vraiment réussi et répond à mon envie primaire de m’envoyer en l’air avec des beats.
Entre temps je suis allé à la chasse aux infos sur Rival Consoles. J’ai appris que le type (puisqu’il s’agit bien d’un type) porte en réalité un nom de joueur de baseball des années 50, Ryan Lee West. Toute sa discographie est sortie chez Erased Tapes, la même écurie que les pointures Olafur Arnalds ou Nils Frahm (vous le sentez là que je ne sais pas de quoi je parle ?). Une des premières occurrences le concernant sur Google m’a envoyé vers un site que je vous recommande chaudement : Goûte mes Disques. Là, je suis tombé sur la critique d’un album précédent de Rival Consoles, Howl, que mon vénéré boss gratifie d’un saillant 8/10. J’en conclus donc que Persona confirme ce positif et prophétique jugement.
Vous l’aurez compris, ceci est une chronique qui parle de musique électronique écrite de la main d’un gars qui s’est arrêté d’en écouter à l’heure où Petit Biscuit n’avait même pas de dents pour en manger. Vous pardonnerez donc la naïveté de ce papier. Il est en tout état de cause plein de spontanéité comme l’est cet album dont je recommande chaudement l’écoute entre Albert Ayler, Don Cherry et John Coltrane. Ce soir j’irai me coucher avec deux nouvelles certitudes : mon disquaire est vraiment bon et Rival Consoles encore plus.