Peradam
Soundwalk Collective & Patti Smith
Soundwalk Collective (Stephan Crasneanscki et Simone Merli) signe sa quatrième collaboration avec Patti Smith sur Peradam, un album qui clôture Perfect Vision, un triptyque immersif (et un exercice périlleux) sur la route de trois poètes français. L’idée : partir sur leurs traces pour célébrer une partie de leur vie.
The Peyote Dance, premier album de la trilogie, rendait hommage aux visions hallucinogènes d’Antonin Artaud lors de sa supposée visite (introspective) aux Tarahumaras. Mummer Love, le second, s'attaquait à Arthur Rimbaud, sa mystérieuse vie à Harar en Éthiopie, et au soufisme. Les deux disques réunissaient les univers de Philip Glass, Patti Smith, Mulatu Astatke et le groupe soufi de Cheikh Ibrahim autour des enregistrements de terrain du Soundwalk Collective pour relever un pari risqué : transmettre l’exploration d’une connexion transcendantale et de la contemplation mystique.
Pour ce troisième volume, ils s’unissent cette fois à Anoushka Shankar (sitariste indienne), Tenzin Choegyal (musicien tibétain) et Charlotte Gainsbourg. Cette joyeuse troupe part à la conquête de l'oeuvre de René Daumal, et plus précisément de son livre Le Mont Analogue, roman inachevé dont les héros sont abandonnés au milieu du cinquième chapitre dans leur ascension d’une montagne située dans l’hémisphère sud. Celle-ci évoque un mont sacré qui permettrait la communication avec un au-delà - une symbolique que l'on retrouve d'ailleurs dans d’autres croyances (le mont Sinaï, le mont Meru, le mont Olympe...). Pour s'inscrire dans cette philosophie et sur la voie indianiste de l'auteur, le groupe a multiplié les enregistrements de terrain dans les montagnes de l’Himalaya, en Inde et au Népal.
On comprend toutefois vite que ce voyage dépassera les simples frontières géographiques lorsqu'au début du deuxième morceau Patti Smith entonne : « I will not speak of the mountain ». Présente sur l'ensemble des morceaux, Charlotte Gainsbourg s’approprie les textes différemment et il est moins aisé de rentrer dans son interprétation après celles, plus poignantes, de la chanteuse et poétesse de Chicago. Sur « The Four Cardinal Times », le duo, déjà rendu complexe par le mariage délicat du français et de l'anglais, est loin d'être évident. En effet, la différence d'intensité dans les interprétations est difficilement conciliable, tant il semblerait que la chanteuse américaine s’adoucisse face aux chuchotements de Gainsbourg. Malgré l’apport hautement qualitatif des enregistrements de terrain, c’est en effet le lyricisme récitatif épanoui de Patti Smith qui fait office de fil rouge sur l'album. Les musiciens invités réussissent quant à eux à donner un corps plus prenant aux différents récits sonores. « The rat », le dernier morceau du disque, nous laisse sur un questionnement mystique fidèle à Daumal au sujet des conséquences souvent inconnues de nos actions.
Si nous avions trouvé le résultat des deux premiers albums de Perfect Vision mitigé, ce troisième projet vient parfaitement clore le triptyque, et il convient de saluer l’énorme travail anthropologique mené par le groupe sur ces sujets littéraires sensibles : il n’est pas certain qu’Artaud ait mis les pieds dans la tribu des Tarahumaras ni goûté au peyotl ; il y a très peu de traces de Rimbaud en Éthiopie ; et le Mont Analogue est un roman inachevé. Pour une expérience plus immersive, la compréhension de l’univers des différents auteurs est donc certainement un plus.
« Peradam » est un mot utilisé pour la première fois dans « Le Mont Analogue ». Il fait référence à une pierre précieuse qui se révèle uniquement à celles et ceux qui la recherchent (« (…) l’œil le perçoit à peine. Mais à quiconque le cherche avec un désir sincère et véritable besoin, il se révèle par son éclat soudain »). Peut-être comme la substance de cet album, puisqu'au fur et à mesure, l’oreille curieuse est absorbée pas l’univers métaphysique conceptualisé par Daumal.