Passeports
Mathias Delplanque
La majorité des gens normalement constitués détestent les transports en commun : antithèse de la propreté, lieu de transit tout ce qu'il y a de plus impersonnel et moments d'attente bien souvent rédhibitoires. Les allégories ne manquent pas quand il s'agit d'évoquer cette institution pourtant au cœur de la vie de tous. Pourtant, au delà du voile, se profile une autre réalité : celle du voyage fantasmé, de l'inconnu relatif et de l'isolement comme source de retrouvailles. Un terrain privilégié pour l'art de field recordings assurément. Bâti autour d'une collaboration entre l'excellent label portugais Crónica et la structure française Bruit Clair, Passeports est à la croisée de tout ce qui vient d'être dit plus haut. Ajoutez à cela un chef d'orchestre pas si inconnu que ça (Mathias Delplanque nous ayant régalé récemment d'un très grand Parcelles 1-10) et vous vous retrouvez en face d'une promesse solide d'un grand disque d'ambient vaporeux.
Le topo est toujours le même : un casque et une heure de temps libre pour un voyage absolument épique. Basé exclusivement sur des enregistrements au cœur même des transports en commun (on insistera beaucoup sur le transport ferroviaire ou aérien), le field recording est ici transformé, retravaillé à l'extrême pour donner sept pistes extrêmement musicale, bien loin de la rugosité du concept premier. On est dans la densité la plus rêveuse, dans l'essence même du voyage. Les textures ne se privent jamais d'une teneur mélodique qui donnent à ces enchevêtrements de nappes une couleur beaucoup moins terne que prévue dans l'introduction. Passeports est un trajet public qui se fantasme, qui s'élève au-delà de la masse populaire avoisinante pour rêver à une destination encore inconnue au stade de l'écoute. Le moment redevient important.
Passeports explose la notion d'horaires, brouille les destinations et redonne du temps au temps. Entre mélancolie géographique et futur incertain, ce disque est une habile proposition à une intuitive évasion. Loin des clichés du genre – surtout – on se promène en terrain inconnu avec pour repères l'un ou l'autre rappel du monde matériel : un train qui freine, un décollage d'hélicoptère, un call center à New Delhi mais toujours très loin car déjà dans un autre univers. On aurait pu lâcher un maximum de canulars sur le thème du voyage et de ses composantes, mais cela aurait sans doute été manquer de respect pour une œuvre aussi aboutie et mature que Passeports. Certaines chroniques valent comme des conseils d'ami, celle en fait sans aucun doute partie.