Paranormal Musicality

JB Dunckel

Parlophone Records – 2024
par Émile, le 22 janvier 2024
5

Que fait un·e artiste quand il a 30 ans et qu’il a déjà plus ou moins connu tout le succès possible musicalement ? C’est une question à laquelle on adore chercher une réponse, puisqu’on y trouve parfois les témoignages plus discrets d’une grande liberté dans le projet d’une personne dont la solitude dans sa salle de répèt’ lui file un sourire jusqu’aux oreilles. C’est Paul McCartney dans ses albums éponymes, c’est Dangerously In Love de Beyoncé, et c’est Jean-Baptiste Dunckel en 2006. Même s’il reviendra avec Air pour plusieurs albums, à cette époque, le groupe a déjà sorti Moon Safari, Talkie Walkie, Virgin Suicides, et Pocket Symphony est probablement déjà quasiment terminé. C’est alors le moment de se demander qui on est musicalement en dehors des gens avec qui on a tout fondé, puisque le groupe composé avec Nicolas Godin est son noyau dur depuis le lycée.

Plus de quinze ans ont passé depuis Darkel et Paranormal Musicality semble une version ultime et très assumée de ce plaisir solitaire. Dans une période où Air reprend du service, JB Dunckel s’est trouvé un espace qui n’était ni un espace pour son groupe, ni un espace dicté par un projet esthétique extérieur, comme c’est le cas pour les dernières bandes originales qu’il a composées, par exemple pour François Ozon avec Éte 85 ou plus récemment pour Olivier Babinet avec Normale.

Paranormal Musicality, c’est probablement le produit de la volonté de faire un album à la Riyuichi Sakamoto : piano solo, des morceaux courts, comme des estampes naturalistes ou des croquis émotionnels. Et si tout ne fonctionne pas, il faut le reconnaître : impossible de passer à côté du talent de mélodiste de Jean-Baptiste Dunckel. Derrière une simplicité apparente, ce sont toujours des harmonisations extrêmement efficaces, avec une science imparable de la façon dont des arpèges peuvent tirer du côté des sentiments doux-amers. On en trouve un superbe exemple avec « Playjoy », qui concentre si bien le talent de Dunckel qu’on en retrouve des bouts un peu partout, comme dans « Spring Emotion ».

La force du disque tient tout entière dans la relation qu’entretient le Versaillais avec le piano - on l’entendait déjà sur « Le voyage de Pénélope », sorti il y a vingt-six ans cette semaine. Hommage à Maurice Ravel, à une Mélodie Française sans paroles, mais également au minimalisme américain de Terry Riley et Philip Glass, Paranormal Musicality est un beau témoignage du sentiment de son auteur vis-à-vis de son instrument.

Malgré tout cela, le disque a un certain goût d’incomplet. On peine à s’enlever de l’esprit que ces lignes de piano ne suffisent pas, et on souhaite secrètement l’arrivée de la basse de Godin, d’un riff de batterie, ou quoi que ce soit qui puisse confirmer les belles idées de Dunckel. Trop minimaliste pour être chanson, trop peu minimaliste pour être atmosphère, Paranormal Musicality prend alors l’allure d’un album qui répète sur dix-huit morceaux une recette à laquelle on n’a pas accroché. Un très joli carnet de croquis, mais pas un tableau.