Palo Santo
Shearwater
On attendait beaucoup de Shearwater après l’éclatante démonstration de songwriting réalisée sur Winged Life, l’un des plus beaux disques parus ces dernières années. On en attendait d’autant plus que le très bon EP Thieves était venu aiguiser notre appétit l’an passé et que Okkervil River, l’autre groupe de Jonathan Meiburg et Will Sheff, avait mis la barre très haute avec Black Sheep Boy et son 'appendix'. Assez légitimement, la réponse se devait d’être implacable et en ce sens Palo Santo ne nous prend pas en traître. Par contre, il frappe plus haut, plus fort… et pas forcément là où on l’attendait.
Le plus gros changement sur ce quatrième album de Shearwater est sans aucun doute l’affirmation d’une personnalité forte et fascinante, celle de Jonathan Meiburg qui a ouvertement pris les rênes du projet, composant seul les onze titres de l’album et produisant l’ensemble avec Craig Ross, déjà croisé aux côtés de Daniel Johnston, Spoon et Lisa Germano. Ne pouvant guère aller plus loin dans le domaine de la jolie ballade folk mélancolique, le chanteur s’est mis en tête de bousculer en une seule fois ses compositions, ses fans et son groupe pour un résultat pétrifiant de maîtrise et de maturité. Dès l'inaugural "La Dame & La Licorne", on sent bien que le soyeux cocon que l’on connaissait s’est transformé en quelque chose d’autre, quelque chose de moins accueillant de prime abord mais d’incroyablement plus palpitant. C’est avant tout l’apparition en trame de fond d’une tension inédite dans la musique de Shearwater, avec la voix de Meiburg en chef d’orchestre. De hurlements en douces accalmies, ce sont les intonations vocales qui font toute la force du disque, de la douce mélodie toute en falsetto de "Nobody" à ce "Red Sea, Black Sea" magistral dont on retiendra surtout l’explosion centrale (« it was a fucking disaster »).
Mais il y a également sur Palo Santo une volonté de surprendre dès que possible en rajoutant ici et là des arrangements sortis de nulle part, un clavier crado, une guitare mal accordée, une trompette funèbre ou encore une rythmique volontairement mal foutue. Même sur l’évident single "Seventy-Four, Seventy-Five", une grosse cassure de rythme au milieu du morceau vient rompre un équilibre pop sans doute trop parfait pour plaire à son compositeur. C’est un peu ça le nouvel univers de Shearwater, une continuité bousculée, un folk pas complètement traditionnel, un rock pas vraiment moderne, une pop pas vraiment pop. Tout ça pour un résultat unique en son genre, quelque part entre Tim Buckley et Robert Wyatt, et fonctionnant aussi bien d’un seul bloc qu’en isolant chaque morceau. Will Sheff n’a plus qu’à bien se tenir, la concurrence se fait de plus en plus rude au sein de la confrérie et on attend désormais avec impatience la réponse d’Okkervil River qui devrait arriver avant la fin de l’année…