PAINLESS
Nilüfer Yanya
Quelle joie que celle d’avoir quelqu’un pour parler de ses sentiments. D’avoir quelqu’un pour jouer ce rôle de miroir qui, dans son éclaircissement, fasse éclater avec tendresse la boule de solitude qui pesait viscéralement en nous. Et trop souvent, faute d’avoir des amitiés assez honnêtes que pour construire un cercle de confiance autour de soi, on s’en remet à nos chanteur·euses à guitare. Dans la longue tradition des amours déçues, le PAINLESS de Nilüfer Yanya fait exception par la puissance de ses compositions et l’éclectisme de ses postures émotionnelles. Un vrai poignard en plume pour se caresser le cœur.
Certain·es crieront peut-être au revival du rock des années 2000, mais l'artiste étant née en 1995, Nilüfer Yanya et sa musique sont tout simplement le fruit d’une adolescence passée à écouter des Strokes, Radiohead ou des Pixies dont elle a déjà fait une reprise très évidente. Et quitte à reprendre le flambeau, autant le prendre comme il faut. Alors qu'on découvre son troisième album particulièrement divers, entre un travail de la voix qui n’est pas sans rappeler Lorde ou Lana Del Rey, un jeu de guitare dans lequel l'émotion ne cache jamais la maîtrise technique et un sens de l'harmonie très prononcé, il est difficile de savoir où la jeune britannique pêche son talent.
Parce qu'en plus de rappeler un soi-disant âge d’or des musiques à guitare, Nilüfer Yanya possède la meilleure des qualités, qui est celle d’être sa propre référence, et de se suffire à soi-même. Vous aimez les morceaux guitare-voix ? « company ». Un titre à passer à la radio ? « belong with you ». Un truc pour les amateurs de math-punk ? « stabilise » – un vrai grand morceau, d’ailleurs. C’est ce qui marque le plus à l’écoute et la réécoute de ce PAINLESS : la capacité de Yanya à faire de toutes les petites idées de compositions un titre parfaitement reconnaissable, marqué parmi les autres. On n'ira pas jusqu'à assumer que tous les morceaux sont des légendes en puissance, mais elle nous laisse plutôt cette sensation que jamais un morceau un tant soit peu moyen passera la publication. Ce sentiment que chacun de ses titres puisse être le préféré de quelqu'un, sans que cela vous choque.
Et si elle parvient à occuper autant de positions sur le spectre pop-rock, c’est que dans l’écriture également, elle réussit le pari de chorégraphier tant d’étapes de la rupture amoureuse et de la solitude tantôt subie, tantôt acceptée. Sa douceur grave dans la voix sur "L/R" représente à merveille une douleur amoureuse si intense et pourtant si peu létale. Elle passe de la fragilité à la conscience de sa passivité, de la révolte à une subtile tristesse avec "anotherlife". Pas que PAINLESS soit un manuel de rupture, mais plutôt qu’il explore, comme un journal fragmentaire, des photographies prises sur un temps long.
Un temps qui a été celui de la réflexion et de la maturité du projet. Plus efficaces, plus intenses, les textes et les compositions de Nilüfer Yanya sur ce disque sont ceux d’une artiste qui commence à dévoiler tout son potentiel. Elle le dit elle-même : « Je pense que PAINLESS est plus ouvert à ce sujet que Miss Universe. Je n'ai plus peur d'assumer mes sentiments. Ça m'a fait du bien de le faire, de l'écrire et de le sortir. Je suis une personne complètement différente ». Et peu importe les changements qu’elle pourrait vivre au cours des mois qui viennent, on est à peu près certain·es que la scène contemporaine va composer avec elle pendant des années. Autant de bonnes chansons en si peu d’années, ça n’arrive jamais par hasard.