PAIN MUSEUM

Brevin Kim

No Matter Records – 2022
par Ruben, le 30 juin 2022
7

Septembre 2020. Quelque part entre Cleveland et Chicago sur la Highway 90, Brendan Paulhus ajuste le rétroviseur de sa Toyota Sonata puis jette un rapide regard à son frangin, Callin Paulhus, qui laisse échapper un bâillement incontrôlé. Leur GPS indique trente-deux heures de route jusqu'à leur destination finale, Los Angeles. La fatigue les guette, ils savent qu'ils devront s'arrêter sous peu dans un de ces motels miteux qui bordent les autoroutes américaines pour y passer la nuit. Les deux garçons, partis du domicile familial dans la banlieue de Boston, ont commencé le road-trip de leur vie : comme tant d’autres, ils espèrent rejoindre la Californie pour y lancer leur carrière.

Cela faisait des mois que, depuis leur Massachusetts natal, ils publiaient régulièrement leurs demos sous l’alias Brevin Kim – un nom trouvé par Callin, qui a simplement fusionné les prénoms de Brendan et de leurs parents Kevin et Kim. Sauf que le succès n'a jamais vraiment pointé le bout de son nez. Loin de se laisser abattre, les frangins ont décidé de jouer cartes sur table: ils avaient besoin de savoir si, oui ou non, ils avaient un avenir dans l’industrie musicale. Cette réponse, ils espèrent la trouver dans la ville des Anges, un eldorado où tout semble possible, et ce malgré de lourdes circonstances atténuantes. En effet, nous sommes en septembre 2020 lorsque le duo entame son pèlerinage ; un timing désastreux puisqu’à l’époque, en plus de l’épidémie de COVID-19 qui sature les hôpitaux, la Californie est également dévastée par d’immenses feux de forêts. En partie à cause de ce mauvais timing, le rêve américain de Brendan et Callin tourne vite au cauchemar. En effet, dès leur arrivée en Terre Promise, ils se rendent rapidement compte que l'instabilité économique provoquée par la combinaison des deux crises, sanitaire et écologique, a totalement rongé l'appétit des labels et autres têtes chercheuses de l'underground californien ; en suivront deux longues années d’incertitudes, tant financières que mentales. Mais, en début d'année 2022, leur ténacité finit par porter ses fruits puisque leur nouveau label, No Matter Records - fondé par le créateur de Pigeons & Planes, qui entrevoit immédiatement le potentiel des deux gamins - donne enfin le feu vert à la publication de leur projet, PAIN MUSEUM.

PAIN MUSEUM, ce sont 15 titres de pop décomplexée où fusionne, avec éclat, des synthés grinçants, des 808’s empruntées à la drill et des riffs de guitares tirés du rock alternatif, le tout porté par des voix autotunées à point qui imprègnent le disque d’une atmosphère pop next-gen. À l’image de ce que le Big Fish Theory de Vince Staples avait pu faire pour le rap US – c’est-à-dire ouvrir une faille spatio-temporelle permettant de nous projeter vers ce que le hip-hop pourrait être dans dix ans - le côté expérimental de PAIN MUSEUM donne la forte impression que l’on sillonne des territoires peu explorés. La construction des pistes, à l’architecture spontanée et imprévisible, est un grand bol d’air frais pour un genre musical codifié et rigide, dont les ficelles sont traditionnellement tirées par les grands labels, aux pratiques marketing si bien huilées. PAIN MUSEUM, c’est 100 gecs qui fusionne avec The Kid LAROI ; c’est l’univers de Brockhampton qui rencontre celui de Post Malone. Et on valide à 100%.

Mais malgré toutes ses qualités, PAIN MUSEUM n’est malheureusement pas exempt de défauts - tout comme le fut le disque de Vince Staples en 2017. Force est de constater que Brevin Kim étire un peu trop le propos, et que les trois dernières pistes du disque s’avèrent finalement être assez dispensables. Une chute de tension regrettable, puisque les deux garçons étaient bien partis pour réaliser le sans-faute. De même, l’intervention de quelques invités supplémentaires aurait également pu élargir la palette de couleurs, et venir apporter des nuances différentes à une tracklist parfois trop psalmodique, qui s’essouffle un peu dans son dernier tiers. Ces quelques imperfections sont toutefois estompées par une incroyable science des mélodies, qui ferait jalouser les Khalid, Bieber et autres pointures de la pop mainstream. En effet, on se laisse immédiatement envouter par les envolées vocales de « Say No To Yes Today », « Take The Blame » ou encore l’extraordinaire « YOU F.O. », qui nous prend aux tripes dès les premières notes.

Dans son ensemble, la prestation des deux frangins autodidactes impressionne ; PAIN MUSEUM étant l’expression originelle d’un duo fascinant, débordant d’énergie et d’idées fraîches, pour qui les étoiles semblent enfin s’aligner.