Pablo Honey / The Bends / OK Computer Limited Edition
Radiohead
Qui oserait sérieusement contester la suprématie de Radiohead sur le rock britannique ? Depuis une quinzaine d'années maintenant, le groupe emmené par Thom Yorke fait la pluie et le beau temps, entraînant des millions de fans à travers le monde dans leurs expérimentations musicales, invitant même les artistes à inventer un nouveau modèle de distribution en se passant de maison de disques et en proposant à tout un chacun de payer le prix de son choix pour leur dernier album, In Rainbows, comme cela fut le cas en 2007. On peut évidemment ne pas aimer Radiohead, mais il faut reconnaître que ce seul nom suscite aujourd'hui l'admiration et l'envie, pour ne pas dire l'amour, de hordes de fans déchaînés, si l'on en juge par les seules statistiques du site communautaire Last.fm, les cinq d'Oxford trustant, semaine après semaine, la première place des artistes les plus écoutés devant The Beatles et un autre petit groupe anglais, Coldplay.
Cependant, cela n'a pas toujours été comme cela. Il fut un temps, pas si lointain à l'échelle humaine, où Radiohead n'était qu'un vilain petit canard chevelu et peroxydé à côté d'un mastodonte tel que Nirvana et où le groupe était sous contrat avec une maison de disques, et même une major de l'industrie, à savoir EMI. Cette dernière ayant laissé s'échapper l'une de ses poules aux œufs d'or en 2006, on ne saurait ni s'étonner ni lui reprocher de tenter de rentabiliser encore davantage son fond de catalogue en ne laissant pas croupir cinq albums importants au fond des bacs des disquaires, en ne pressant de nouveaux exemplaires que pour les périodes de fêtes et de soldes. Puisque l'honorable maison britannique possède toujours les droits sur les œuvres du groupe, jusqu'à Hail to the Thief, sorti en 2003, la voici qui édite des versions limitées (et collector) des trois premiers albums de Radiohead : Pablo Honey, The Bends et OK Computer.
Evidemment, il serait possible de consacrer bien plus qu'une simple chronique à chacun de ces albums, d'aucuns ayant même passé une partie de leur vie à rédiger des ouvrages sur OK Computer, œuvre éminemment complexe, universellement reconnue comme l'un des disques les plus importants des années 1990, pour ne pas dire de ces vingt ou trente dernières années. L'objet de ce court article sera bien plus modeste, puisque, de toute façon, tout le monde ou presque a, au moins une fois, déjà écouté l'un de ces albums. D'ailleurs, pour paraphraser un publicitaire célèbre, si l'on n'a jamais écouté Radiohead à 50 balais, c'est qu'on a quand même un peu raté sa vie. Non mais. Et comme il n'est jamais trop tard pour bien faire (et que chacun de ces trois coffrets coûte tout de même beaucoup moins cher qu'une Rolex, même si EMI ne s'est pas privée de les vendre au prix fort), nous vous offrons une petite séance de rattrapage, après avoir précisé que les coffrets existent en deux versions, c'est-à-dire, pour l'une, l'album original et un disque bonus composé de faces B, de démos et de lives, et, pour l'autre, la même chose mais avec un DVD vidéo. D'emblée, on regrettera que les albums n'aient pas été remasterisés comme cela a pu être le cas pour la "Legacy Edition" du Grace de Jeff Buckley. EMI prise en flagrant délit de flemmardise.
Pablo Honey, le premier de ces albums réédité, est sorti initialement en 1993, il y a donc maintenant seize ans. Le temps passe vite et ne joue malheureusement pas en faveur de cette œuvre de jeunesse qu'à titre personnel j'ai toujours détestée, ne parvenant que rarement à dépasser le stade de la deuxième piste, c'est-à-dire la fameuse et monumentale "Creep", morceau-symbole d'un groupe adolescent qui se cherchait encore, le fameux riff de guitare ayant, comme chacun sait, été intégré à l'arrache par un Jonny Greenwood qui n'aimait pas la chanson et qui cherchait donc à la saccager. Au lieu de cela, il aura permis au groupe de sortir de l'anonymat, avec un morceau diffusé en rotation lourde sur MTV et une pierre posée dans le jardin du grunge. Cela dit, en 2009 et plus que jamais, l'album frappe par son effarante faiblesse musicale et ce ne sont pas les piètres faces B et pauvres démos présentes sur le disque bonus qui changeront la donne. Par exemple, "Prove Yourself", qui ouvre la galette dans une version démo, est certes un titre sympathique, mais ni lui ni un des autres morceaux ici présents (certainement pas les bruyants "Pop is Dead" ou "Coke Babies") ne permettent d'imaginer un seul instant que le groupe deviendra ce qu'il est aujourd'hui. Un album très dispensable, donc.
Les choses sérieuses débutent avec The Bends, sorti en 1995. Produit principalement par John Leckie, il marque une énorme progression pour Radiohead depuis Pablo Honey. C'est notamment sur cet album que se trouve, à mon humble avis, la meilleure chanson jamais écrite par le groupe, à savoir "Street Spirit (Fade Out)". Le disque bonus est en fait une compilation des maxis sortis à l'époque (My Iron Lung, High and Dry, Fake Plastic Trees, Street Spirit), sur lesquels on trouve quelques faces B absolument délectables, comme "Lozenge of Love" (très proche de ce que peut produire aujourd'hui un José Gonzalez), "India Rubber" (excellente, assez Manic Street Preachers dans l'exécution) et, cerise sur le gâteau, une version acoustique de "Street Spirit". A noter que le DVD vendu avec l'édition "super collector" comporte des clips déjà disponibles sur le DVD 7 Television Commercials ainsi que, notamment, le live à l'Astoria commercialisé assez récemment. Plus intéressantes, des vidéos d'apparitions du groupe à la télé britannique en 1995 valent le détour.
Venons-en enfin au plus grand album de Radiohead, quoi qu'on en dise. Il est en effet peu probable que le groupe parvienne désormais à égaler ce disque intemporel, encore assez éloigné des bidouillages électroniques dans lesquels Thom Yorke et ses copains se sont ensuite engouffrés (perdus ?), et quasiment parfait, si l'on excepte cette piste 5 absolument insupportable, "Let Down", qui n'a rien à faire sur cet album. Si seulement elle avait été remplacée par "Pearly*", par exemple ! Ce morceau figurait sur le maxi de "Paranoid Android" et on la retrouve bien entendu ici, aux côtés d'une autre face B légendaire, "How I Made My Millions", qui démontre le talent incomparable de Yorke : on l'imagine au piano, après avoir dîné avec sa petite famille, en train d'improviser une chanson magnifique, magique, tandis que Madame est en train de faire la vaisselle en arrière-plan (ce que laissent supposer les bruits parasites derrière le chanteur). Malheureusement, les maxis tirés d'OK Computer n'étant pas spécialement rares dans le commerce (on peut encore les trouver raisonnablement facilement et à coût réduit), aucune surprise n'est présente ici : Paranoid Android, Karma Police et l'excellente "Meeting in the Aisle", No Surprises et son "Palo Alto" qui aura inspiré le nom d'un groupe américain de seconde zone… On est en terrain connu.
Au final, si vous deviez porter votre attention sur l'un des coffrets en particulier, nous ne pourrions que vous conseiller l'édition "super collector" de The Bends, vraiment pleine à craquer de très bonnes faces B et de captations live, sans compter les nombreuses vidéos qui permettent de faire le point sur l'évolution capillaire du brave Thom Yorke. Pablo Honey, vous l'avez compris, n'a jamais cassé trois pattes à un canard, tandis que les bonus d'OK Computer, sans grandes surprises ("No Surprises", ah ah) et au contenu assez maigre, justifient moins l'investissement. D'autant que, comme indiqué plus haut, EMI ne s'est pas gênée pour vendre chacune des super éditions à environ 18 euros, ce qui peut paraître un brin exagéré pour des albums déjà maintes fois rentabilisés, même si, en additionnant le prix de chaque album à celui des différents EP compilés ici, cela peut valoir le coup. De deux choses l'une : soit vous êtes un énorme fan de Radiohead et vous collectionnez tout ce qui sort, auquel cas la question de l'achat de ces coffrets ne se pose pas ; soit vous ne connaissez pas Radiohead (est-ce possible ?) et alors EMI vous propose un bon moyen de les découvrir à "moindre prix" (tout est relatif). Le plus intéressant dans l'histoire serait de connaître l'avis de Yorke et ses petits amis sur cette nouvelle réédition, un an après un coffret regroupant tous les albums du groupe en digipak, puis un best of, et ce en attendant une probable réédition, sur le même principe, de Kid A, Amnesiac et Hail to the Thief, les trois albums suivants. On sait désormais comment une maison de disques gagne ses millions…