Oyoki
Kalash Criminel
Sur le papier, Kalash Criminel n'a pas grand chose pour lui : le nom d'un fusil russe déjà adopté par des dizaines d'autres avant lui (Kalash l'Afro, Kalash...), le visage masqué comme la moitié du rap français (Sefyu, Fuzati, Gims, Siboy...), et un flow simpliste qui ne respire pas franchement l'intelligence. Kalash Crimi est également albinos. Une particularité génétique encore vue par beaucoup comme une maladie grave, et qui peut même vous exposer à des persécutions dans certaines régions du monde, dont cette RDC dont est originaire le rappeur de Sevran. Mais à l'image de cette anomalie, Crimi a le don de transformer ses défauts présumés en qualités. "J'suis albinos, parce que j'suis né pour briller", prévenait-il déjà lors de son introduction au monde sur le morceau "Arrêt du coeur" avec Kaaris, autre illustre rappeur Sevranais.
Car, de fait, son cheveu sur la langue lui donne un timbre immédiatement identifiable. Son non-flow fait de lui un griot rap, simple chroniqueur de la vie de quartier, loin des artifices autotunés en vogue de nos jours. Et derrière la cagoule, les "TA-TA-TA!", les "SAUVAGE!", KC est le seul à saupoudrer encore ses couplets de considérations géopolitiques, d'autant plus percutantes qu'elles sont inattendues. Comme un direct du droit après une série de jabs. Une fibre politique qui fait de lui le dépositaire d'un certain rap hardcore made in 9-3, dans la droite lignée d'un Sefyu ou d'un Despo Rutti. La line : "Oui, Obama c'était une carotte/Mais Donald Trump c'est un fils de pute!" vient d'ailleurs prendre directement la suite du fameux "Obama, pour moi c'est une banane" de Rutt's sur "Innenregistrable".
Mais tout cela, c'était déjà le Kalash Criminel de la mixtape R.A.S, chouette entrée en matière balancée l'automne dernier. Sept mois plus tard, que peut bien proposer de neuf cet Oyoki, nouveau projet également présenté comme une mixtape? Déjà, le Sevranais a éprouvé son rapping. Il n'y a qu'à écouter le premier tiers du disque : tout est à sa place, tout est parfaitement exécuté et Crimi, sans prendre énormément de risque techniquement, parvient toujours à trouver le ton juste. Ensuite, le emcee tente de nouvelles choses : il convie KeBlack pour une virée afro-trap convenue mais réussie, il s'essaie à la ballade chantonnée sur le touchant "Ce genre de mec". Et puis, surtout, il s'associe avec Jul, pour une rencontre au sommet en survet' de foot : "Je ne comprends pas" est sans aucun doute le meilleur morceau de l'album. Tenter d'expliquer pourquoi, ce serait déjà rompre la magie. Tout ce qu'on peut dire c'est que le Marseillais y fait des choses extraordinaires et que Crimi ose faire rimer "instrumental", "mental" et "métal" sans la moindre pression.
Et puis, cette association entre le Parisien et le sudiste, c'est aussi une réaffirmation du rap français comme musique populaire, au milieu de ce grand théâtre glam qu'il est devenu. Avec Kalash Criminel, on a affaire à un mec de quartier comme des millions, sorte de monsieur-tout-le-monde projeté dans l'univers pailleté du business de la musique. Crimi aime sa mère ("Maman fait 5000 € de shopping"), est parfois handicapé socialement ("Même quand je dis je t'aime/On dirait je fais une menace"), et a du mal avec les créatures nocturnes de son nouveau milieu ("Remplies de vice et d'maquillage, elles m'disent qu'elles taffent dans l'mannequinat"). Après des années de sophistication, c'est comme si le hip hop français aspirait à un retour aux valeurs des décennies 90/2000, comme le prouvent les succès de Sofiane, de Jul, et de Kalash Crimi donc. Paradoxalement, avec son rap simple et sans prétention, le emcee cagoulé du 9-3 est entrain de s'imposer comme l'une des nouvelles têtes d'affiche de cette musique.