Oxymoron
ScHoolboy Q
Si l'année 2012 fut marquée par la consécration de Kendrick Lamar, c'est cette fois à ScHoolboy Q de rejoindre la catégorie des MVP, ces mecs qui voient chacun de leurs couplets disséqués religieusement par la sphère RapGenius. Porté par une street cred à son apogée, qui lui autorise même des écarts de conduite chez Macklemore, et avec à son actif un Habits & Contradictions de très haute volée qui a tout - sinon le parrainage du mort-vivant Dr Dre - pour cartonner autant que Good Kid, M.A.A.D City, on n'en pouvait plus d'attendre ce Oxymoron qui, de "Yay Yay" à "Break The Bank", n'a cessé de se poser en potentiel Menace II Society-bis. Une impatience qui a impliqué un recul certain, histoire de poser un avis définitif sur un produit fini qui nous a, mine de rien, fait passer par pas mal d'états.
Pour rassurer après autant de reports, c'est à "Gangsta" et "Los Awesome" qu'il appartient d'ouvrir le bal, riot gun scié à la main et bandana sur la bouche. D'entrée de jeu Oxymoron fait du sale et fout la pression. Et pour la maintenir, le disque ne doit pas trop faire le grand écart entre le ton décomplexé de la sphère mixtape et ce goût rétrograde maîtrisé pour le rap de gangster straight outta Compton. Un choix artistique périlleux mais qui sert à merveille l'atmosphère de la troisième livraison de l'ex-Crips, que ce soit lorsqu'il s'agit de renouer avec succès en compagnie du bankable MikeWillMadeIt ou en cristallisant la facette fragile de Black Hippy dans l'incroyable doublé "Prescription/Oxymoron", qui voit le MC poser de nouveau sur un sample de Portishead – et force est d'admettre que cela ne rend que plus belle encore cette déclaration d'amour à sa fille sur fond d'affaires de drogues.
Mais comme avec toute bonne sitcom qui se respecte, on passe forcément par la saison de trop. Et malgré tout le bien qu'on pense de sa chevaleresque première moitié, Oxymoron s'offre un petit ventre mou, entamé par le beat épuisant de "The Purge", reliquat peu glorieux d'un Tyler, The Creator période Bastard, puis confirmé par un "Blind Threats" de bonne facture avec Raekwon, mais qui n'arrive pas à faire oublier que Cypress Hill avait posé sur le même sample vingt ans plus tôt. En fait, si l'on se résigne à opter pour la version douze titres, ce que probablement beaucoup feront à l'achat, il demeure impossible de ne pas rester sur sa faim, tant le déroulé narratif perd en force passée la deuxième moitié de l'album. Et ce choix est d'autant plus douloureux que chacune des pistes de l'édition deluxe aurait naturellement trouvé une place au sein de ce tracklisting final atrocement bancal.
En dépit de ces handicapants défauts, Oxymoron tient toutes les promesses inhérentes à son statut de blockbuster : c'est un bon album de gangsta rap, varié et intelligent, qui réussit à ne pas trop sombrer dans le fan-service pour nostalgiques de l'ère N.W.A. Le problème, c'est qu'on a un peu de mal à oublier qu'Habits & Contradictions est passé par là, et qu'il faisait autant (sinon plus) d'effet que son successeur avec en moins, les attentes démesurées et certaines redites, et en plus, cette tendance un peu agaçante à vouloir sentir la poudre plus qu'il n'en faut. Il reste à l'arrivée un album difficilement évitable qui remplit admirablement son office avec ce qu'il faut de points d'orgue et de tubes.