Overlast
STIKSTOF
Actuellement, le rap belge est un peu à la musique ce que le bitcoin est à la finance internationale: un truc incroyablement cool (sur papier), dont on parle beaucoup (trop), et qui fait également l’objet d’une spéculation étourdissante. Bref, on est peut-être en train de s'emballer comme des jouvencelles pour un mouvement qui finira vite aux oubliettes de la hype, comme le freak folk ou le dance punk avant lui. Presse spécialiste comme généraliste ont compris que le rap belge faisait vendre un peu de papier et générait beaucoup de clics, alors on fait feu de tout bois et des noms qui n’auraient même pas eu droit à un pauvre encart il y a deux ans ont aujourd’hui droit à des hagiographies en bonne et due forme.
Mais si il y a bien un crew qui mérite les superlatifs quand on l’évoque, c’est STIKSTOF. En même temps ce n’est pas à nous qu’il faut le dire: depuis l’album (gratuit) /02 en 2016, on attend que le groupe bruxellois s’en aille jouer dans la cour des grands. Et avec Overlast, on n’a plus le moindre doute sur sa légitimité dans le paysage hip hop. Disons que contrairement à pas mal de ses coreligionnaires qui profitent de l’exposition de la scène pour sortir des projets peu aboutis ou un chouïa opportunistes, Jazz, Omar-G et Astro (Rosko a quitté le groupe l’année dernière) ont pris leur temps pour pondre un troisième album d’une force et d’une cohérence folles.
Mettons d’emblée de côté le seul facteur qui pourrait rebuter les esprits chagrins et les amateurs de belles punchlines: oui, chez STIKSTOF ça rappe en flamand et donc oui, pour une immense majorité du public francophone, ce que ces gars racontent fait autant de sens que les règles du Kamoulox. Pourtant, qu’on ne s’y méprenne pas: rarement on a entendu un groupe raconter Bruxelles de façon aussi évocatrice sans qu’on doive forcément comprendre quoi que ce soit aux textes, ce qui fait de Overlast un anti-« Bruxelles arrive » par excellence. Car là où le titre de Roméo Elvis et Caballero est surtout le hit accidentel qui a permis de cartographier la mouvance, tout sur Overlast pue Bruxelles, sa culture alternative, ses lieux les plus emblématiques et ses flics qui lui pourrissent l’existence - on renvoie ici à ce qui ressemble fort à la pochette de l'année. S’arrêter à la barrière de la langue, c’est aussi passer à côté de ce qui fait la force de STIKSTOF: la manière dont ces flows se parlent et se répondent dans un élégant ballet (faudra repasser pour les adlibs à foison) pour donner une impression d’ensemble tout bonnement saisissante: personne n’est là pour se ménager son quart d’heure de gloire, placer sa punchline qui enflammerait les réseaux ou faire exister un personnage qui a besoin d'un peu de lumière - d’ailleurs, much respect à Omar-G qui a a rangé son personnage excentrique de Zwangere Guy au placard en mettant les pieds dans le studio.
Puis évoquer le cas STIKSTOF en général, et Overlast en particulier, c’est en placer une très grosse à l’adresse d’Astrofisiks, qui produit tous les titres du disque et continue de s’inscrire dans cette veine ‘avant-gardiste mais pas trop’ qui fait que l’on a souvent envie de décrire le groupe aux gens qui ne le connaissent pas comme une version belge de ces fendus du bulbe de Shabazz Palaces. Comme les MCs dont il doit valoriser le travail, Astrofisks ne pense jamais en termes de single pour les radios ou de banger pour les clubs. Le projet est plus important que la somme de ses parts, et la plus belle preuve de ce qu’on raconte, c’est que le single « Frontal » lâché en éclaireur il y a quelque mois révèle toute sa force de frappe quand il s’insère dans la narration générale de l’album. Et puis contrairement aux précédents disques du groupe, superbes monolithes froids, il y a dans Overlast juste ce qu’il faut d’émotions et de chaleur pour vraiment toucher le cœur - « 2010 » qui évoque l’histoire du groupe ou « ZOIZO » qui raconte qu’ils ont notamment grandi au son de MC Solaar ou Lunatic en sont les meilleurs exemples.
C’est sûr que dans l’économie actuelle du rap, n’importe quelle major préfèrera signer un nième clone de Hamza ou de Damso (qui sont eux aussi des clones de Young Thug et de Booba mais qui ont réussi à s'affranchir de leurs modèles) plutôt que de pousser un rap aussi novateur et original que celui défendu par STIKSTOF. Mais tandis que les quelques têtes de gondole et leur cour de copieurs peu inspirés s’évertuent à faire surchauffer une machine qui tourne un peu trop souvent à vide, les quatre de STIKSTOF pensent déjà à demain. Et même si demain c’est loin, il n’est pas à exclure que eux y soient déjà.