Overgrown

James Blake

Republic – 2013
par Denis, le 10 avril 2013
8

Cette chronique exige d’emblée une précision contextuelle. Conscient de rompre avec la cohésion de façade que s’impose toute équipe de rédaction, l’auteur de ces lignes tient à faire savoir qu’il ne souscrivait pas à la mythique critique incendiaire qui, sur ce site même, avait salué la sortie du premier album de James Blake. Sans forcément dénier l’artificialité de ce premier effort (dont mon estimé confrère disait que « tout y [était] académique, bien-pensant et taillé sur mesure pour tous les nouveaux mondains que draine la génération Pitchfork ») et sans nier la faiblesse de certains de ses titres, je n’en avais pas moins été ponctuellement séduit par la délicate montée en puissance de “The Wilhelm Scream” et par la qualité de la reprise de “Limit To Your Love”, dont je n’étais pas loin de penser qu’elle parvenait à doubler l’intensité de l’un des meilleurs titres de Feist. J’étais plus circonspect à l’égard, par exemple, du degré zéro de l’arrangement mis en œuvre par les deux volets de “Lindesfarne”, mais je me disais que ce jeune type valait la peine qu’on s’y intéresse. Et quand, entre deux bidouillages électroniques hors album, l’intéressé se fend, avec “A Case of You”, d’une cover dont la classe confine à la grâce, je me dis que j’ai raison et que je n’ai pas à avoir honte.

Toutefois, ce positionnement contribue à m’isoler au sein du comité de rédaction. Quand, lors d’une réunion tenue dans les caves de son luxueux loft bruxellois, le rédac’ chef demande à l’équipe de chroniqueurs qui veut se charger de rendre compte d’Overgrown, le deuxième album de James Blake, les lazzi fusent et certains se demandent s’il ne vaut pas mieux passer carrément sous silence les productions de cet imposteur. Timidement, je lève la main et annonce que j’accepte de m’y risquer, éveillant dans le même geste le soupçon général. On me fait passer l’objet, certains crachent par terre après l’avoir touché et, quand il me parvient, j’ai comme l’impression d’avoir vendu mon âme.

Mais parlons-en, enfin, de ce disque. Plutôt complexe et résistant au premier abord, celui-ci se révèle en réalité bien plus abouti que son prédécesseur. Si le premier album du Londonien pouvait être reçu comme une mosaïque d’expérimentations hésitant entre pop, soul et post-dustep sans toujours parvenir à fédérer ces tendances, Overgrown est pour sa part fondé sur une ligne de conduite plus cohérente, qui parvient à faire dialoguer accents r'n'b, dubstep et boucles quasi-minimales (sur “Digital Lion”, coécrit avec Brian Eno, et, tout particulièrement, sur “Voyeur”, les deux meilleurs morceaux de l’album, on se prend à penser tantôt à Pantha du Prince, tantôt aux boîtes à rythmes de Radiohead).

Le tout, comme de coutume, est porté par la voix de tête allègrement autotunée de Blake, qui irrite ou envoute selon les goûts. Sur “Take A Fall For Me”, l’articulation de celle-ci au flow du RZA décontenance à première écoute, mais finit progressivement par séduire.

Et, au fond, il en va ainsi de la totalité de ce deuxième effort. L’effet d’uniformité qu’il dégage peut dans un premier temps sembler procéder d’une production lisse, mais il n’en est rien : Overgrown est plutôt de ces albums qui s’apprivoisent et révèlent leur(s) qualité(s) à force d’écoute. Sans véritable titre-star éclipsant le reste des morceaux (comme cela avait pu être le cas avec “The Wilhelm Scream” et “Limit To Your Love”) et malgré quelques relatives platitudes (comme le dispensable “Retrograde”, qui finit rapidement par lasser), il se présente comme une succession avisée de compositions fouillées, riches en nappes et hybrides, sans que cela ne paraisse jamais ni forcé ni purement expérimental.

Aérien, racé et solide, Overgrown permet à James Blake de passer un palier et de s’affirmer comme l’un des artistes avec lesquels il va vraiment falloir compter au cours des années à venir. Malheureusement, diront certains. 

Le goût des autres :
4 Simon 6 Maxime