Outer Peace
Toro Y Moi
Construire des univers, les élargir, puis tout recommencer. Le travail de création de Chaz Bundick s’apparente à celui d’un architecte incapable de se reposer sur ses acquis. Et avec Toro Y Moi, il relève un beau défi : celui d'exploiter sur chaque disque une énorme palette de couleurs, tout en parvenant à se construire une discographie cohérente, qui parvient à faire le trait d'union entre ses divers alias. Véritable touche-à-tout qu'on classe faute de mieux dans la catégorie "chillwave", le natif d’Oakland prend régulièrement un malin plaisir à aller à contre-courant de nos attentes. Résultat : on ne sait jamais à quelle sauce on va être mangés.
Ceux qui ont réussi à apprivoiser son Boo Boo de 2017 seront heureux de savoir que Chaz Bundick va mieux. Outer Peace se veut plus optimiste et romantique, opposant aux nappes froides de son cadet un sillon plus dansant. En ce sens, il s'inscrit dans la continuité de Michael, le disque de son alias house Les Sins. Entre une pop bontempi sans concessions sur le single "Freelance" et un gros clin d’œil à la deep house de Chicago sur "Who I Am", le patchwork ici tissé est aussi imprévisible que solaire. Et comme d’habitude, les tubes de poche ne manquent pas.
Mais Boo Boo a quand même laissé quelques traces, et Toro y Moi met l’autotune et sa mélancolie robotique au service des meilleures respirations de Outer Peace – on pense à l’épatant "50/50" qui conclut le disque. Mais là où son aîné s'appropriait le logiciel à des fins expérimentales, Outer Peace en fait usage de manière un peu trop prévisible. En grand amateur de rap, Bundick donne le sentiment de vouloir jouer les Travis Scott le temps d’une poignée de titres, et ce sont ces titres un peu trop dans l’air du temps qui privent le disque de son homogénéité. Et au final, ça ressemble à un énième disque de pop faisant usage de l’autotune - à se demander si la vraie prise de risque en 2019 n'est pas de sortir un disque qui n'en use (ou abuse) pas.
Dans cette perspective, on pourrait penser qu'Outer Peace est le moins bon disque de la discographie de Toro Y Moi. Mais on peut compter sur le timbre de voix unique de Chaz Bundick et sur son savoir-faire pop pour atténuer notre déception. De toute façon, depuis Anything In Return, on a compris que celle-ci faisait partie de l'équation, que jamais plus sa pop ne formerait un ensemble aussi compact. Pour autant, la prise de risque est souvent salutaire, et il est tout à fait possible que les écoutes répétées nous permettent de revoir notre jugement dans les mois qui viennent. Depuis le temps qu’il arrive à nous mettre dans la poche sur la longueur, c’est pas comme si on ne commençait pas à en avoir l’habitude.