Ori and the Will of the Wisps (OST)
Gareth Cocker
Chez Goûte Mes Disques, on n’a jamais chroniqué de musiques de jeu vidéo. Parce que ça joue peu, mais surtout parce qu’on court en permanence après l’actu. Dans cette folle aventure – qui n’est, on vous le rappelle, pas notre boulot – on se voit mal vous parler d’une bande originale six mois après sa sortie. Pourtant, c’est tout à fait raisonnable de considérer qu’il faille ce temps-là pour explorer un jeu. Et sans exploration un tant soit peu complète du jeu, difficile d’en parler convenablement. Voilà pourquoi vous avez déjà lu des chroniques sur des B.O. de films ou de séries, parce que le visionnage prend entre deux et dix heures, mais que si on avait voulu vous faire un papier d’actu sur la musique de The Witcher 3, et ben on aurait toujours pas fini deux ans après.
C’est probablement une des raisons pour laquelle la musique de jeu vidéo est si souvent laissée de côté, et qu’elle ressort surtout lorsqu’elle peut s’écouter à part du jeu, comme dans Celeste ou Hyper Light Drifter, ou, si l’on veut comparer au cinéma, comme l’OST d’un film de Jim Jarmusch. Mais entre le confinement et la taille raisonnable de Ori and the Will of the Wisps, c’était l’occasion à ne pas manquer, surtout que Gareth Coker a fait un travail à la fois très rafraîchissant et très classique.
Si vous n’avez jamais joué à un jeu vidéo, ou si vous n’avez jamais pris le temps d’écouter ce qui se passe dans un jeu, vous allez retrouver dans la bande originale du second jeu Ori une version particulièrement efficace et exagérée d’une problématique qui se pose en termes de musique et d’ambiance sonore dans une bonne partie des jeux vidéo, c’est la question de la narrativité. Dans un jeu, et plus encore dans un jeu d’aventure comme Ori and the Will of the Wisps, la musique doit accompagner une narrativité qui ne va pas de soi puisque c’est le joueur ou la joueuse qui est à l’origine des actions du personnage. Si l’histoire est souvent rendue de manière statique par le level design, il faut bien qu’une certaine dynamique accompagne nos actions. D’où le rôle majeur de la musique, qui doit nous guider dans nos comportements, en laissant supposer les challenges à venir ou les événements auxquels le personnage va être confronté. Un travail d’équilibriste, dans lequel elle ne doit pas tout dire pour ne pas donner l’impression qu’on a cessé de tenir le premier rôle avec sa manette, mais grâce auquel on doit prendre conscience qu’il existe autre chose que notre propre volonté dans l’univers du jeu.
Et dans Ori and the Will of the Wisps, l’univers prend vie dans la musique. On peut résumer le propos du jeu de cette manière : on joue Ori, esprit de la forêt de Nibel, qui doit redonner vie à une nature mourante à l’occasion de la recherche d’une amie perdue. Dans cet univers créé par les développeurs autrichiens de Moon Studios, l’atmosphère se rapproche d’un conte écologique japonais, dont la sérénité des environnements est rendue par les mouvements aériens du personnage, et le constat de la destruction d’un monde par le rythme des combats. Autour de ce squelette, la musique de Gareth Cocker va être la chair et l’âme permettant de tenir l’univers en une seule pièce. Si on disait plus haut que l’OST du nouveau Ori avait un aspect très classique, c’est donc qu’on y retrouve le piano typique du JRPG (Japanese Role Player Game) et un travail de haute volée sur l'équilibre entre thème et variations. Associés à des environnements ou des ambiances narratives plutôt qu’à des personnages, les mélodies se transforment au fur et à mesure d’une aventure qui part de la lumière et de la tendresse et sombre vers l’obscurité et l’angoisse. Il suffit de comparer le thème de départ, symbole de la survie des cendres de la nature dans une tendre amitié, et celui de fin, oraison funèbre d’une victoire gâchée par la mélancolie.
Un bon exemple de la subtilité narrative permise par la musique : la mort de Shriek, l’oiseau orphelin et rejeté qui a sombré dans la colère, doit perpétuer son image du « méchant du jeu » tout en le montrant comme un être faible qui souffre tout autant de sa cruauté que le joueur après un épique combat. L’image du monstre volant venant mourir au creux des cendres de sa famille est parfaitement secondé par la bande originale, de la même manière que gameplay arrange une fluidité qui accompagne parfaitement la découverte de certaines capacités, comme cet excellent passage dans lequel on double la vitesse de déplacement en apprenant à dasher, flottant littéralement sur le morceau écrit pour l'occasion.
Pour accomplir cette tenue et ce soutien généraux du jeu, de son histoire et de son univers, rappelons à ceux et celles qui ne le sauraient pas que Gareth Cocker travaille comme pour un blockbuster cinématographique : un orchestre symphonique, des choristes, plusieurs mois de travail. Malgré cela, on peut le dire : les compositeurs et compositrices de musique de jeux vidéo sont souvent les oubliés de la profession, par mépris pour le média, bien sûr, mais aussi par cette habitude qu’on a pas encore prise d’en parler sérieusement, et qui doit changer.