Organized Noize EP

Organized Noize

 – 2017
par Aurélien, le 6 juin 2017
7

Assez naïvement, on associe systématiquement le nom d'Organized Noize au succès d'OutKast. Ce qui est à la fois vrai et faux: lorsque Big Boi et André 3000 font leur entrée dans la pop culture, l'équipe de production était aux abonnés absents, éclatée par les bisbrouilles. Mais puisqu'il faut néanmoins rendre à César ce qi lui appartient, c'est effectivement au génie de Rico Wade, Sleepy Brown et Ray Murray que les ATLiens doivent quelques pépites qui ont placé Atlanta sur la carte du rap jeu, à commencer par l'incroyable Aquemini. Pourtant, OutKast n'est que l'arbre qui cache une forêt autrement plus dense: la Dungeon Family. Un collectif aujourd'hui largement éclaté mais qui a contribué, par l'entremise des albums de Cool Breeze, Witchdoctor ou du Goodie Mob, à innover et à donner au rap du sud quelques belles lettres de noblesse - c'est même à eux qu'on doit l'invention du terme dirty south.

Ces acteurs, ils sont largement oubliés aujourd'hui. Et il en va malheureusement de même pour Organized Noize: si leur histoire continue d'être racontée au travers d'autres fortes personnalités de la spaghetti junction comme Metro Boomin ou Future – qui n'est autre que le cousin de Rico Wade - Organized Noize reste une équipe dont l'influence est toujours terriblement sous-estimée. Et bien que l'équipe ait profité d'un joli regain de popularité grâce au documentaire The Art Of Organized Noize, elle n'a eu d'autre choix de que faire perdurer sa propre légende en sortant début mai, sans grand effet d'annonce, un EP de sept titres inédits. Une sortie peu ébruitée mais qui n'est pas loin d'être un petit événement en soi, surtout quand on sait que leur dernière apparition sur disque doit remonter... au ArchAndroid de Janelle Monae en 2008.

Alors évidemment, à bientôt cinquante balais, le trio d'Atlanta ne compose plus comme dans sa prime jeunesse: fini les enregistrements dans le sous-sols de la daronne de Rico Wade. Ils dorment aujourd'hui sur un confortable matelas de billets, et possèdent un beau studio payé par les royalties de leurs succès pour TLC ("Waterfalls", ça vous dit quelque chose?) et OutKast. Si leur musique n'est donc plus le résultat de longues nuits de défonce, la clique continue à avancer avec tout autant de stratégie: sortir un nouveau projet d'Organized Noize en 2017, à l'heure où Atlanta est la nouvelle Mecque du rap, c'est mettre toutes les chances de son côté pour permettre à la nouvelle génération de redécouvrir cette mythologie. A ce titre, on se surprend peu de croiser le chaman Cee-Lo Green, la voix rauque de Big Rube ou le phrasé mathématique de Big Boi, même si leur présence n'a pas de réelle valeur ajoutée.

Heureusement, Organized Noize n'oublie pas que ce projet est avant tout le sien. Et en marge de ses appels du pied à la Dungeon Family, ils offrent de vraies belles balades soul, transcendées par la voix et le génie mélodique de Sleepy Brown. C'est même quand ils sortent de leur zone de confort que ça devient réellement excitant : cela donne successivement un "Chemtrails" dansant qui flirte avec la house de Moodymann, et un "Kush" où ils effritent une bassline dub comme du fromage d'herbe, avec un 2 Chainz qui exécute un couplet sensuel et plein de retenue – une façon de prouver que le tonton d'Atlanta est décidément bien plus tout terrain qu'on ne voudrait le croire.

En somme, on peut dire que la musique d'Organized Noize emprunte le même tracé que celle de Pharrell Williams: le trio de producteurs n'a plus rien à apprendre à personne, et peut s'offrir ce luxe trop rare des gens qui ont tellement innové pendant dix ans qu'ils peuvent se permettre de privilégier la maîtrise à l'audace, quitte à "darroniser" leur style. Moins enfumé mais toujours aussi organique, Organized Noize ne révolutionne donc pas le son qui l'a fait connaître, mais démontre qu'ils sont toujours aussi pertinents et habiles dans leurs entreprises. Ce qui est une réelle bonne nouvelle, surtout quand on sait que la clique a pris en main la direction artistique du troisième album de Big Boi qui doit paraître cette année. Et Dieu sait si la moitié d'OutKast revient de loin.