Only God Was Above Us
Vampire Weekend
2008. Bien après la première vague de revival new yorkais (The Strokes, Interpol et consorts), débarque en queue de comète Vampire Weekend, un classique instantané sous le bras, bande-son d’une classe blanche éduquée et perméable aux influences afro et new wave, sorte de Talking Heads pour les indie kids d’alors.
Alors que le second essai Contra confirme autant le talent du groupe que l’impasse dans laquelle il se trouve (comment se réinventer sans se trahir, ce genre de dilemme insoluble), le troisième - Modern Vampires of The City - démontre la capacité de la bande d’Ezra Koenig à monter en ambition par rapport aux ritournelles vitaminées qui ont fait sa réputation. Las, le dernier en date (Father of the Bride) sorti il y a 4 ans, double disque débordant de guests et d’idées, avait laissé du monde à quai : le vaisseau VW avait-il perdu son capitaine ?
D’où le plaisir immédiat de voir les New-Yorkais non seulement renouer avec le son de leurs débuts, mais avec une acuité nouvelle, qui dépasse l'exercice nostalgique pour opérer une étonnante fusion entre les fulgurances du passé et une maturité thématique et musicale insoupçonnée. Tel un origami auditif se formant et déformant sans cesse, Only God Was Above Us se déploie au fil des écoutes, rempli de pop songs bizarroïdes carburant à l’inventivité.
“Nous ne sommes pas des pop stars qui sous-performent. Plutôt un groupe de garage qui sur-performe” confiait récemment Koenig à Libération. Et Vampire Weekend de jouer de ce statut ambivalent : une évidence pop dans une énergie rock, qui toujours échappe au calibrage et à la redite qui a contaminé tant d’autres de sa génération. Mêlant boucles hip-hop, enregistrements démo, rythmiques endiablées, piano virevoltant, contrebasse, cordes et cuivres épiques, le groupe ne se refuse rien, en témoigne le génial et jouissif « Connect », morceau-gigogne qui semble contenir tous les autres.
Presque 15 ans après ses débuts, Vampire Weekend n’est plus cette bande de college boys fringants tout droits sortis de Columbia, mais un groupe conscient de son environnement et de sa violence intrinsèque, à New York comme ailleurs (“Dodged the draft, but can't dodge the war / Forever cursed to live insecure” dans « Gen-X Cops »). Dans Libé toujours, le chanteur (se) confesse: “Notre vie consiste à nous prendre des vagues dans la gueule, plus ou moins fortes, à intervalles plus ou moins réguliers. Certains apprennent à les surfer. Je ne dis pas que j’en fais partie. Mais quand je les vois, je me dis que j’aimerais un peu plus leur ressembler."
En guise de conclusion - sur 8 minutes, excusez du peu - aussi sublime qu’évidente, « Hope » se pose là. “The enemy's invincible, I hope you let it go” répète inlassablement Koenig, en contrepoint bienvenu au “Fuck the world” dégainé dès l’entame du disque sur « Ice Cream Piano ». John Lennon le chantait il y a plus de 50 ans : “Dieu n’est qu’un concept par lequel nous mesurons notre douleur”. Chez Vampire Weekend, Dieu n’est plus et personne ne le remplacera, à l'humanité de se dépatouiller avec ça. “The prophet said we'd disappear. The prophet's gone, but we're still here”. Les vampires aussi sont encore là, et on l’espère pour un bon bout de temps encore.