Ode to J. Smith
Travis
Ouvrons le Grand Dictionnaire du Rock, édition Goûte Mes Disques 2008 (un grand cru). Cherchons la lettre T. T-Rex, non, Tears for Fears, argh, non plus, Thrills (The), ah, on se rapproche… Ah ah, voilà, Travis ! Travis, donc… (n. m.) : groupe sympathique par excellence ; groupe dont la capacité à fédérer et à attirer la sympathie du plus grand nombre ne s'émousse pas avec le temps, bien au contraire. Eh oui. En une dizaine d'années de carrière, nos amis écossais sont parvenus à se constituer un noyau dur de fans dévoués qui ne manquent pas de jeter une oreille sur les nouvelles productions du groupe.
Pourtant, il faut bien reconnaître que Travis n'est jamais parvenu à se hisser au niveau de son second album, l'excellent The Man Who (1999), soyeux et mélodique, et que ses œuvres postérieures n'ont été, au bout du compte, que des copies plus ou moins inspirées de cet album, sans grande remise en question, malgré la cuvée 2003, 12 Memories, produit par le groupe seul, sans l'assistance de Nigel Godrich, son quatrième mousquetaire. Mais même sans Godrich, Travis ne faisait que du Travis, en plus tiède. The Boy With No Name, sorti l'an dernier, persistait dans cette voie et on n'osait imaginer le groupe se réveiller, sortir de la routine, nous surprendre à nouveau.
Et voici Ode to J. Smith. Surprenant, cet album l'est pour plusieurs raisons. Parce qu'il sort un an seulement après le dernier album, quand, en général, deux, trois voire quatre ans séparaient deux opus travissiens. Parce qu'il n'est pas produit par Nigel Godrich, même si ce n'est pas inédit. Parce qu'il a été enregistré en seulement deux semaines, ce qui ne laisse pas tellement le temps à la réflexion. Parce que le groupe a quitté le label Independiente et retrouvé Red Telephone Box, le label de ses débuts. Surtout, parce qu'il marque une véritable révolution pour Travis. Vraiment. On a souvent parlé d'évolution pour certains groupes de rock anglais, terme marketing totalement injustifié, utilisé pour glorifier l'ajout d'artifices electro (Placebo) ou caractériser un bond en avant dans le délire (Muse)… Mais, pour une fois, le terme – révolution - est légitime.
Rien ne reste de l'ancien Travis. Rien, ou presque. Certes, quelques notes de banjo par ici ("Last Words"), la voix de Fran Healy, toujours. Le reste, en revanche, a changé. Considérablement changé. Le son s'est manifestement durci ("Something Anything", "Get Up"), densifié ("Broken Mirror", "Friends"), le groupe ose (les chœurs sur "J. Smith", franchement étonnante, la "Bohemian Rhapsody" écossaise !), même si les jolies mélodies sont toujours présentes ("Last Words", "Quite Free"). Pourquoi parler de révolution, alors ? Tout simplement parce que Travis renoue avec ses premières amours. Rappelez-vous, quand, en 1996, Fran Healy chantait que tout ce qu'il voulait faire, c'était du rock ("All I Wanna Do Is Rock", sur Good Feeling). Travis rocks, donc, à nouveau ("Long Way Down"). On ne s'y attendait plus, on ne l'espérait plus, son guitariste Andy Dunlop non plus, sans doute ! Et on est ravi, et lui aussi ! Le voici enfin à triturer sa guitare comme en concert, on le sent revivre, reprendre du plaisir – un plaisir communicatif.
En bref, une bien jolie crise de la quarantaine pour un groupe qui avait vécu une trentaine sans doute un peu trop confortable et qui a eu les bollocks de se remettre en question. Nos souhaits ont été entendus. Bravo à Healy et sa petite bande. Honnêtement, il était temps.