O Monolith

Squid

Warp Records – 2023
par Pierre, le 14 juin 2023
8

Au classement des mots dont nous n’aurons jamais fini de travestir le propos, « post-punk » occupe une place de choix, juste derrière « démocratie » et « pâtes carbonara ». Car depuis que la Grande-Bretagne est redevenue le barycentre du rock, il semble qu'ont ait admis l’idée selon laquelle l’étiquette « post-punk » irait bien à des formations aussi diverses que Black Country, New Road, black midi, Fontaines DC ou Squid. Une pirouette d’autant plus commode qu’elle permet apparemment d'appréhender, comprendre et, in fine, circonscrire des artistes dont les procédés et les prismes de composition sont à peu près aussi similaires que le sont Michel Drucker et Harry Roselmack. Au-delà d’un signifiant qui ne désigne  plus rien, c’est une considération simpliste, signe d'une incapacité à diagnostiquer l’état du rock en 2023. 

Car Squid est-il seulement un groupe de rock ? Voilà une question à laquelle il serait bien hasardeux de répondre catégoriquement. D’autant que la formation, toujours chapeautée par le grand manitou Dan Carey, dont elle ne renie pas le protectorat et sous l’égide duquel elle avait pondu un Bright Green Field déjà très aventureux, échappe avec O Monolith un peu plus encore aux canons de ce qu’on pourrait nommer le rock à boomers. Fort heureusement, l’intérêt de ce second album s’incarne ailleurs qu’à travers de vulgaires chamailleries sémantiques, puisqu’à défaut d’être aisément saisissable, la musique du groupe n’en finit pas de séduire autant qu’elle perturbe, et gagne en amplitude et en attrait à chaque nouvelle écoute.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les Anglais aiment prendre leur public à rebrousse-poil et secouer l’auditeur un peu trop orthodoxe. C’est un exercice d’équilibriste auquel se livre Squid, et qui consiste à miser sur la parcimonie et la juste mesure plus que sur la satisfaction immédiate d’une rage primaire, davantage perceptible sur leur premier effort. Chose surprenante ici, Ollie Judge est même surpris à chanter ses arabesques sans jouer les clébards indomptables, en préservant malgré tout son cynisme et son grinçant. O Monolith offre ainsi de véritables cavalcades, à l’instar du single "Swing (In a Dream)" issu du malaise doucereux qu’inspire la frivolité trompeuse de Les hasards heureux de l’escarpolette de Jean-Honoré de Fragonard ou du tourbillon final "If You Had Seen The Bull’s Swimming Attempts You Would Have Stayed Away", entre lesquels s’enchainent les titres surprenants et audacieux, dont l’énergie fluctuante nivelle habilement la tension. Une certaine prouesse pour laquelle il ne faut pas oublier de saluer la production impeccable de Dan Carey ainsi que le mixage de John Mc Entire (Tortoise) qui confère à l’album une spatialité bienvenue face à la sensation d’étouffement dont celui-ci aurait pu facilement souffrir.

Au fil de ces huit titres, Squid décline une identité polymorphe, piochant autant dans le jazz que dans le prog-rock, la funk, ou les musiques expérimentale et électronique, et qui tient autant à son génome musical qu’à sa capacité à varier notoirement les ambiances et les atmosphères. Squid est donc une entité singulière qui prouve un peu plus encore avec ce O Monolith son intérêt double : immédiat par l’aspect purement jubilatoire de certains titres; et durable, par le vent de fraîcheur qu’elle fait souffler sur l’ensemble du processus créatif et les standards souvent trop archétypaux dans lequel aurait facilement pu s’enfermer le rock au sens large. De quoi concrétiser un peu plus les espérances dont le groupe a fait l’objet et, qui sait, ériger O Monolith comme l’un des meilleurs albums de l’année, post-punk évidemment.