Nuages

Sopico

Spookland – 2021
par Yoofat, le 29 octobre 2021
8

Dans une interview donnée à l'Abcdrduson en 2015, Mac Tyer soulignait la différence fondamentale entre les rappeurs des années 90 et ceux d'aujourd'hui. Pour l'auteur de "93 tu peux pas test", on devient un grand MC à force de travail et d'heures passées à expérimenter en studio, tandis qu'il fallait être un prodige (no Big Pun intended) pour être une tête d'affiche dans les 90's. C'était le cas de Biggie, de Nas, ou de Method Man, par exemple. Aujourd'hui, les rappeurs sont certes moins géniaux que ceux précités, mais font tous les efforts nécessaires pour devenir meilleurs. Il est devenu normal de se chercher, de se casser la gueule, de rater sa première semaine, ses premiers disques, ses premiers pas en tant qu'artistes et d'en sortir grandi. Regardez l'évolution d'Oboy, de Lomepal ou de Sofiane.

L'essentiel n'est donc pas d'être le meilleur tout de suite, mais de faire la promesse d'un jour revenir avec une proposition unique. Quand Sopico et sa guitare débarquent sur le fond monochromatique de Colors en 2017, ils posent indirectement les termes de cette promesse. Entre temps sortiront des projets courts et relativement  délébiles. Mais on sait que le natif de Paris Nord a quelque chose de plus à offrir au monde. Une pandémie mondiale et un Zemmour-Washing télévisuel plus tard, son retour se fait en grandes pompes, à l'aide d'un clip explosif qui use de sa guitare comme détonateur. 

"Slide" est un morceau particulier à bien des égards. Dans son clip, se ressent une ambition démesurée, extraordinaire presque. Sopico s'imagine en super-héros, ou du moins en chef des employés de chantier qui réagissent furieusement au rythme qui se dégage du refrain. La Tour Pleyel, assez terne de base, ressemblerait à s'y méprendre au repaire de Kim Ban-Phuong, antagoniste du manga Sun-Ken Rock. A la lecture seule des seize pondus par Sopico, on peut voir un egotrip classique, avec de belles punchlines et un rythme assuré. Mais ce qui rend le titre si transcendant, c'est en réalité le mariage de ce texte de rap brut, et cette ambiance rock amenée par une guitare qui hurle une envie de vaincre. Il fallait écouter Nuages pour confirmer le bien que l'on pense de cette nouvelle forme que vient de prendre Sopico. 

Les fusions entre le rock et le rap n'ont que très rarement offert des moments de satisfaction. Pitié, faites taire cette petite voix qui donne le contre-exemple claqué au sol du Jay-Z/Linkin Park, on ne veut pas l'entendre - on lui préfère de loin le Blakroc des Black Keys, par exemple, faites vos devoirs! Et même si le premier extrait faisait clairement entrevoir une volonté de réunir rock et rap, ce ne sont finalement pas ces qualificatifs qui siéent le mieux à Nuages. Au final, la simple et générique appellation "guitare/voix" semble mieux coller, tant les deux sont polymorphes et s'essaient à plusieurs styles. Sopico, producteur de ses propres titres depuis Yë en 2018, amenait une énergie beaucoup plus électronique et synthétique auparavant. L'amour qu'il porte à son instrument, comparable à celui que Damien Chazelle met en scène dans ses films, l'a poussé à prendre la direction de ce son organique. Après avoir épuré son rap kilométrique made in 75ème session, Sopico est parvenu à rendre sa production beaucoup plus légère, sans nul doute grâce à l'aide de Yodelice, son nouveau mentor et co-producteur de presque tout l'album. 

La cadre bien posé, s'ajoutent alors parcimonieusement des batteries ou même un mandole algérien joué par son père sur "Hier", l'un des morceaux les plus fort de l'album. Cette épuration permet une interprétation plus claire de ce que nous chante Sopico. Il y a une tonne de mélancolie et de nostalgie, il y a des cicatrices amoureuses trop douloureuses pour êtres tues, le tout dans un ciel tantôt latino-américain, tantôt oriental. La notion de voyage s'invite agréablement dans nos oreilles durant ces 38 minutes en altitude. Nuages, c'est du Népal avec du George Brassens, de l'ésotérisme et de l'universalité. C'est un album, qui, comme son nom le suggère, est polymorphe en fonction du regard que l'on porte sur lui. Le plus complexe est de lever la tête vers le ciel, comme un vrai membre de la Sun-Ken Rock Team, et être assez fort pour dessiner son propre Nuages. En serez-vous capable ?