Notre silence
Michel Cloup
Voilà un album que l'on n'attendait pas. On nous a annoncé il y a peu la reformation scénique de Diabologum mais on était loin de se douter que Michel Cloup (Diabologum, Expérience, Binary Audio Misfits, Panti Will) nous livrerait cet album en solitaire (enfin en duo avec Patrice Cartier d'Expérience à la batterie comme le précise la magnifique pochette noir et blanc). Mais fermons les parenthèses: le temps viendra assez vite de reparler de la reformation du plus grand groupe français de tous les temps.
Si on devait choisir un substantif pour cet album on opterait pour "ascèse". Tout commence avec cette superbe pochette (on peut le redire, tant le bon goût et la sobriété se font rares en matière de visuels), cette typo simple, élégante, à la fois classique et moderne. Cloup a toujours aimé les clins d'oeils et on peut reconnaître ici la ligne sobre et froide des grands albums du label de free jazz et de musiques aventureuses que fut BYG Actuel. Et après s'être plongé dans l'écoute, on peut pousser le parallèle plus loin: cet album est un peu au rock français ou à la chanson française (attention, vilain mot) ce que BYG Actuel fut au jazz.
On parlera ensuite de l'instrumentation. Cloup nous dit qu'il avait envie de revenir à des choses plus simples. Il aura donc opté pour le duo guitare-batterie. Mais pas n'importe quelle guitare : une baritone. Comme pour aller plus profond. Au coeur. Musicalement et émotionnellement parlant. Car ce son rond, enveloppant, grave et chaud est capable de décupler la charge émotionelle d'un simple riff ou d'un arpège. Attention, ne point voir dans cette affirmation une quelconque critique de simplisme musical. Car ici, même si l'on n'est pas pas dans la démonstration, on sent bien que chaque note a été pensée pour aller à l'essentiel. Sur quelques rares morceaux il y a bien de la distortion ou des solos, mais à chaque fois au service du propos, jamais pour se regarder le nombril.
La tentation aurait pourtant été grande, car Notre silence est un album autocentré, intime, où Cloup se livre comme jamais. Mais c'est cette sincérité qui touche et en devient universelle. L'auteur utilise peu de mots, une syntaxe simple, use de la répétition à bon escient. Pas de diarhée verbeuse. Pas d'effets de style. On est encore une fois entre classicisme de la forme et modernisme du propos. Les textes jouent la carte du réalisme, mais Cloup préfère utiliser la suggestion, l'éllipse, le blanc comme non-couleur signifiante. Comme un écho à mots. En ouverture dans "Cette colère" on entend "aujourd'hui plus qu'hier, cette colère reste mon meilleur carburant". Oui, on sent bien que la prise de parole est nécessaire, vitale. On n'est pas dans la pose ou le chiqué, mais dans une mise à nu pudique. Dans "L'enfant" et le titre éponyme, morceaux de bravoure s'il en est (11 minutes chacun), les mots respirent et laissent l'auditeur prendre possession de l'oeuvre à travers sa propre lecture du texte. La douleur est là, en filigrane, on la ressent suinter à travers une voix et un phrasé la plupart du temps neutres. Et ça c'est étonnant, car ici Cloup retrouve ce qui faisait la force et la magie des grandes heures de Diabologum : un non-chant, qui a priori détaché et froid est pourtant vecteur d'une force émotionnelle incroyable.
Sur le final "Un film américain", la tonalité devient plus aérienne. On entrevoit la chaleur et presque quelques couleurs sur un phrasé et un riff presque entraînants. Pas de happy end comme le suggère le refrain, mais une certaine légèreté ou insouciance qui donne du beaume au coeur après un voyage qui nous aura fait traverser le spectre du noir et blanc. Non on n'attendait pas cet album, mais dieu que ça fait du bien.