Not A Leaf Remains As It Was
Steve Peters + Steve Roden
D’apparence, des disques pareils il y en a des centaines : 12k a pris pour habitude de noyer l’auditeur avec son catalogue hyperactif. Et ici c'est une collaboration qu’on imagine sous le signe du drone chaleureux qui semble nous attendre, mais aussi une collaboration entre des gars habitués à lâcher des sessions semi-improvisées à la pelle. Un disque planqué dans la masse des sorties typées drone-ambient/électro-acoustique légère en somme. Enfin, n’exagérons rien, la seule présence de Steve Roden dans le tas nous obligeait à pencher une oreille sur ce Not A Leaf Remains As It Was tant son précédent album sur Line nous avait enchanté. Passons les détails sur Steve Peters, ses cinquantes balais et sa carrière artistique trop bien remplie pour mieux rentrer dans le vif du sujet.
Quatre titres, trente-cinq minutes dans le buffet. Un disque court, mais qui sait où il va. Tout ici est une question de choix, de partis-pris: cela se passera entre le silence, la voix et la spatialisation d’éléments divers. Les nappes drone-ambient tout d’abord : un cahier de charges admirablement bien respecté, des résonnances subtilement équilibrées, des effets de zoom/dezoom légers et surtout un recul sur la masse sonore qui nous permet de réellement rentrer dans l’histoire. Enfin, cette histoire est surtout indissociable des voix qui parcourent ce disque, ainsi que de l’extrême attention apportée à la spatialisation générale de l’ensemble. Le travail vocal est admirable d’extension et de retenue, tombant ci et là comme une caresse qu’on a pas vu venir. On nous parle de japonais, mais ces vocalises éthérées n’ont rien de fainéant, on est loin des canons J-Pop « petite salope qui miaule en cosplay Sailor Moon » auxquels nous a habitué une certaine scène ambient-electronica. Ici on tire loin sur la corde, on amène la voix sur les ondes troublantes du drone, avec symétrie ou non, jusqu’à un obtenir un faux magma harmonique. Un truc changeant et harmonieux, qui ne cesse de s’entre-bouleverser au fur et à mesure que les minutes s’égrainent.
Enfin il y a cette fameuse spatialisation des éléments : ces cloches, ces carillons, ces notes de piano solitaire, ces légères cordes qui tonnent de manière périodique et calculées. Ces ajouts donnent de loin une structure qu’on aurait peur de qualifier de rythmique tant c’est ponctuel et mesuré. Disons que ça rajoute de la matérialité, un peu, à une esquisse taillée dans la brume. Et c’est peut-être là la magie de cette collaboration : l’équilibre entre les allers et venues, ce silence chahuté d’une voix, d’une suite de notes, de résonnances fuyantes. Un disque où rien n’est définitif. Une expérience de repos après la fin du monde, qui donne l’impression d’avoir tout vu, et de nous relater l’infini avant de s’en aller. Définitivement cette fois.