North
Darkstar
Il n'y a qu'à s'enfourner la double compilation sortie l'année dernière pour s'en convaincre: en cinq années, Hyperdub s'est imposé comme l'une des étoiles les plus brillantes de la galaxie dubstep, s'en tenant toujours à une éthique rigoureuse et ne sombrant jamais dans les délires populistes à trois francs six sous – on pense notamment à des gens comme Benga ou Rusko, qui formaient à une époque la prometteuse arrière-garde d'un genre alors underground et qui se complaisent aujourd'hui dans une désolante facilité.
Etroitement associée à l'émergence du genre, l'écurie londonienne compte en son sein une sacrée brochette de stars, à commencer par le patron Kode9, bien épaulé à l'occasion par des cocos de l'envergure de Burial ou Ikonika. Et puis à côté de ces poids lourds, tapi dans l'ombre, on trouve le duo Darkstar. Et dubstep, Aiden Whalley et James Young le sont indéniablement. Mais à l'écoute de ce premier album, c'est surtout leur accointance avec la pop, la new wave et la synth-pop qui désarçonne autant qu'elle séduit. En effet, si le dubstep est un genre protéiforme, c'est aussi une musique dont les velléités pop ne sont pas franchement mises en valeur, les producteurs préférant tabler sur le rythme, les textures et les ambiances avant de jouer la carte des belles mélodies qui font mouche. Cette logique traditionnelle, Aiden Whalley et James Young avaient entrepris de la suivre. Mais c'était avant de foutre à la poubelle un album résolument dubstep (et pourtant quasi bouclé), d'engager un chanteur (leur pote James Buttery) et de suivre une voie qui les rapproche davantage d'un Matthew Dear que d'un Kode9. Pourtant, leur aimable patron aurait dû se douter que ces deux-là ne faisaient pas les choses comme tout le monde.
Déjà en 2009, Darkstar avait surpris son petit monde avec « Aidys Girl's a Computer », bombinette en puissance où dubstep et synth-pop s'unissaient pour un mariage d'amour de toute beauté. Sur North, c'est cette esthétique marquée par l'épure et le romantisme qui est poussée jusqu'à son paroxysme. Ainsi, en dix titres concis et confondants de beauté, ce sont autant les aventures en solo de Thom Yorke que le raffinement de The Human League (dont le groupe reprend d'ailleurs une obscure face B) ou le trip-hop post-moderne de Portishead qui sont malaxés dans le seul but de pousser le dubstep dans ses derniers retranchements. A un point tel que North n'évoque plus cette musique que via cette ambiance de déliquescence urbaine qui pèse comme une chape de plomb sur nombre de compositions. Tortueux, dense et sombre, North l'est donc de toute évidence.
Mais plus que tout, North est un disque qui fait date dans l'histoire d'Hyperdub et qui en dit long sur la capacité de la structure à se réinventer tout en tentant d'élargir le champ d'action du genre qui l'a consacré. En 2005, Hyperdub avait déjà un temps d'avance. Cinq ans plus tard, le constat reste d'application. Et venant de Kode9 et des siens, on n'en attendait pas moins.