No Thank You

Little Simz

Forever Living Originals – 2022
par Antoine G, le 16 décembre 2022
8

Il ne faut pas s’arrêter au titre de l’album : ce nouveau disque de Little Simz est bien plus qu’un refus. C’est une affirmation de son identité – artistique, mais pas seulement. Le refus est bien sûr adressé à l’industrie du disque, en premier lieu. En annonçant ce cinquième album cinq jours avant sa sortie, sans clip, quasi sans visuel, sans promo, elle refuse de jouer le jeu. La Londonienne de 28 ans est pourtant au sommet cette année. Son monumental Sometimes I Might Be Introvert lui a rapporté un prestigieux Mercury Prize au nez et à la barbe de Wet Leg ou Harry Styles. Celui-ci était d’ailleurs accompagné de clips léchés, teasé plusieurs mois à l’avance par l’impressionnant « Introvert ». Rien de tout ça dans ce No Thank You, qui se recentre sur l’essentiel : une musique qui vient du cœur. Et seulement du cœur.

L’ambition énorme de l’album précédent le rendait également parfois dur à digérer, ainsi que relativement inégal. Avec ce disque, peut-être Little Simz va-t-elle se réconcilier avec les fans de Grey Area désarçonnés par son très dense successeur. S’il n’a peut-être pas d’aussi hauts sommets, ce nouveau disque est remarquablement consistant. La rappeuse y revient à une forme plus spontanée, son flow s’y fait plus libre. Rien d’étonnant donc à y retrouver une nouvelle fois Inflo, aujourd’hui célèbre comme tête pensante de SAULT, déjà derrière Grey Area. Sa boulimie créative (puisque SAULT a bien sorti pas moins de cinq albums simultanément en octobre) semble pointer une méthode de travail dans l’urgence. Avec une telle productivité, pas le temps pour tergiverser. Une nouvelle fois, il démontre un talent exceptionnel pour créer très vite des grooves impeccables, et des arrangements riches. 

Portés par une alchimie évidente, les deux artistes poursuivent leur exploration des musiques afro-américaines, du gospel à la soul (avec une nouvelle fois la présence de Cleo Sol, protégée d’Inflo) ou la funk. On retrouve même une pure vibe venue d’A Tribe Called Quest dans « Gorilla », ou des percussions directement africaines dans « X ». Un ensemble de traditions, actualisées sans jamais forcer. Le tout bien sûr porté par le mélange d’élégance et de frontalité de Simz. 

Pourtant, voir dans No Thank You une antithèse de son prédécesseur serait pourtant se méprendre. Il en est le pendant logique, par un mouvement de balancier. De ce fait, il en poursuit le même mouvement, avec des morceaux aux structures complexes et aux arrangements somptueux. « Broken » en est un parfait exemple, de même que l'incroyable « Silhouette ». Mais dans leur manière de contenir l'émotion pour mieux la mettre en valeur, ces deux titres mettent en exergue la volonté plus introspective et intimiste de l'album. Malgré les moyens déployés, le disque marque par sa douceur. Dans une mise à nu touchante, Little Simz parle bien ici d’une recherche de paix intérieure. Avec ce disque parfaitement maîtrisé, elle adresse un refus bien plus large qu’à la seule industrie musicale. Elle l’adresse à un monde qui l’a déjà trop malmené. Et face auquel elle affirme sa liberté.

Le goût des autres :