Night Network

The Cribs

Sonic Blew – 2020
par Nico P, le 10 décembre 2020
4

Ils ne sont finalement plus si nombreux que cela, celles et ceux qui ont fait les belles heures du New Musical Express des années 2000, à encore enthousiasmer les foules et la presse. Pour un Strokes toujours bien présent (et jouant de sa rareté), pour un Arctic Monkeys encore entreprenant, combien de Hives, de Vines, de Subways, de Razorlight (ahaha) engloutis par les excès, ou tout simplement le temps ? Si certains d’entre eux continuent à faire les beaux jours des festivals (les Hives sont à la musique ce que le rosé est à l’alcool, un peu fade, toujours le même goût, de retour chaque été, et nous sommes toujours finalement un peu heureux), d’autres, la quasi totalité en fait, ont disparu de la circulation. Restent quelques singles sympathiques, ici et là, et des articles de presse annonçant tous les deux mois l’arrivée providentielle des sauveurs du rock’n’roll, qui n’en avait pourtant pas besoin.

Les Cribs sont donc toujours là. C’est une surprise. Eux qui justement, n’ont pas manqué dans leur carrière d’accumuler les titres pompeux (Q Magazine le déclarant “groupe le plus culte du Royaume-Uni” en 2008, ce qui veut à la fois tout et rien dire, c’est le jeu), n’ont pour autant jamais réellement réussi à s’extraire de la ligue 2, enregistrant cependant avec une régularité métronomique des albums se classant sans trop de mal dans les dix meilleures ventes de leur pays, sans jamais parvenir à s’imposer outre-manche, tout en parcourant le monde comme des forçats, jouant partout, tout le temps, au Japon ou en première partie des Foo Fighters. On ne peut leur enlever cela : les jumeaux Gary et Ryan Jarman et leur plus jeune frère Ross y croient. Ils croient en leur bonne étoile, celle qui leur a permis d’imposer leur production lo-fi au sein d’une major (Warner) et avec leur troisième album, Men's Needs, Women's Needs, Whatever en 2007, de se faire produire par Alex Kapranos (Franz Ferdinand), mixer par Andy Wallace (Nirvana), et de collaborer avec Lee Ranaldo, alors guitariste de Sonic Youth. Une époque différente, où ces noms comptaient, existaient même. Un an plus tard, en 2008, Johnny Marr rejoignait le groupe, avant de le quitter après un seul et unique album, Ignore The Ignorant. Sans surprise, leur meilleur.

Les Cribs sont donc des reliques d’un temps passé. Cela serait sans importance s’ils avaient quoi que ce soit à apporter au présent. Bizarrement, ce Night Network, enregistré durant l’été 2019 à Los Angeles dans le studio 606 de Dave Grohl et ses comparses, est salué ici et là comme l’un de leurs meilleurs. On a lu et relu quelques arguments, peinant à comprendre : jamais le rock, la pop des frères Jarman n’avait sonné aussi fade. Certes, le trio semble souhaiter aller au-delà de la power pop bas du front qui a fait leur succès, osant l’introspection (“Never Thought I’d Feel Again”) ou carrément la remise en question (“I Don’t Know Who I Am”), matière puisée au sein d’une année qui les aura vu en guerre avec leur management, pour des questions de droits, les privant de tout enregistrement et de toute sortie. C’est peu, bien peu, et pardon de considérer cela comme bien anecdotique au regard d’une carrière. En réalité, le groupe n’a pas grand chose à dire. Peu importe, les textes n’ont jamais réellement été leur fort, les Cribs préférant chanter le futile pour mieux enrober le tout de riffs efficaces. Des tubes idiots donc, mais les réussir est un Art.

Sans réel garde-fou, la fratrie assumant le rôle de producteur ici, les chansons sont au mieux fades, au pire totalement ratées (“The Weather Speaks Your Name” sonne même intégralement faux, gênant). De ce marasme, nous retenons une balade agréable (“Earl & Duke”), et beaucoup de saturations ne parvenant jamais à masquer la médiocrité ambiante. The Cribs, pourvoyeurs d’eau tiède depuis 2004, poursuivent leur chemin, malgré tout, malgré l’époque, malgré les gens, malgré le monde qui continue de tourner. C’est là leur force : ils s’en foutent. C’est aussi leur faiblesse : cela s’entend.