New History Warfare Vol. 3: to See More Light
Colin Stetson
Beaucoup d’entre vous connaissent sans doute les deux célèbres anecdotes qui veulent que le peu de personnes qui aient acheté l’album à la banane du Velvet Underground (à l’époque) ou vu Big Star sur scène au début des années 70 aient par la suite fondé un groupe. On peut sans trop de risques renverser l’anecdote en pariant que tous ceux qui ont un jour vu Colin Stetson en live auront acheté un de ses disques. On se souvient notamment avoir été soufflé (c’est le cas de le dire) en découvrant bonhomme en première partie de la tournée de reformation de Godspeed You! Black Emperor ou encore de sa prestation héroïque à la dernière Route du Rock.
Pas besoin d’être un spécialiste de free jazz ou de musique contemporaine pour apprécier ce qui s’apparente autant à la performance physique qu’à l’expérience sonore. Voilà une musique qui peut être appréhendée par tout un chacun sans forcément posséder un master de musicologie ou sortir de l’IRCAM. Pendant longtemps, Colin Stetson, c’était le genre de nom que l’on voyait apparaître de manière récurrente sur les albums de certains de nos groupes et artistes fétiches (The National, Timber Timbre, Arcade Fire, GY!BE) sans qu’on se doute pour le moins de tout le potentiel musical qu’il y avait derrière. Car en plus d’être un sideman et musicien de studio ou tournée au carnet bien rempli, il s’est révélé depuis le début de sa trilogie New History Warfare comme un électron libre dévoilant une musique inclassable, à la patte unique et immédiatement reconnaissable. Une musique qui a réussi à s’imposer dans le petit monde de la musique indé, ce sur quoi on n’aurait pas forcément misé un kopeck au départ.
On pourrait se dire oui, c’est formidable en concert mais est-ce que ce type de musique peut vraiment passer l’épreuve de l’enregistrement ? Car c’est ce à quoi on pense en ayant acheté la galette après le concert. Assurément oui. Car malgré les contraintes et restrictions qu’il s’impose (peu ou pas d’overdubs, un dépouillement instrumental qui se limite aux saxophones qu’il utilise (alto, ténor et basse), même si certains amis come Bon Iver ou Shara Worden de My Brightest Diamond viennent parfois donner de la voix) aux techniques uniques qu’il a développé (souffle continu, chant au travers de la hanche de l’instrument, jeu de percussions capté par un système de micros), cette musique est au-delà de la pure performance physique et instrumentale totalement prenante. Le genre qui vous happe et vous tourneboule les esgourdes et le cerveau pour un voyage en terre inconnue. Une terre faite de paysages grandioses, accidentés, rocailleux et arides baignés dans une lumière rouge de crépuscule estival.
En tous cas, pour ce dernier opus qui clôt la trilogie entamée en 2007, on peut dire que l’on reste sur la même ligne esthétique rigoureuse mais généreuse des deux précédents, ce qui est une bonne nouvelle. La principale surprise viendra de Bon Iver qui s’essaie sur « Brute » à une espèce de growl digne d’un chanteur de black metal. Autrement on alterne toujours entre morceaux très rythmés ou Stetson montre peut-être une face plus mélodique avec ce chant-cri soufflé dans le saxophone et morceaux plus virtuoses et répétitifs basés sur de rapides motifs de notes. On pense toujours beaucoup à Philip Glass pour certaines harmonies et le jeu entre minimalisme et répétition, dégradation et variations mais aussi à certaines formes de musique classique ou baroque et notamment à Bach. L’évolution la plus notable sur ce troisième volume est peut-être dans le son, plus sale et cherchant plus la dissonance qu’auparavant. On sent Stetson de plus en plus sûr de sa musique et de ses techniques ce qui donne parfois cette impression de lâcher prise l’animal finissant toutefois toujours par retomber sur ses pattes ce qui est particulièrement impressionnant sur les 13 minutes de « To See More Light » le titre éponyme, véritable pièce maîtresse de l’album (un morceau sur lequel il doit bien perdre trois kilos à chaque fois qu’il le joue).
Alors maintenant que la trilogie est bouclée et même si on bien loin d’avoir épuisé toute cette matière sonore, ce qui nous intéresse et qui titille notre curiosité, c’est de voir si Stetson va continuer dans la même veine ou s’il va s’aventurer vers d’autres contrées. Dans tous les cas, on va le marquer à la culotte, ça c’est sûr.