My Method Actor

Nilüfer Yanya

Ninja Tune – 2024
par Émile, le 17 septembre 2024
8

« Pour moi, écrire, c’est résoudre des problèmes – un peu comme on dit que rêver, c’est résoudre des problèmes. » Après trois albums d’intériorité problématique, Nilüfer Yanya n’en a toujours pas fini avec ses démons. Les relations amoureuses, la recherche de son identité ou la vie parmi les autres sont autant de jolies plaies qu’elle ne se permet pas de refermer pour pouvoir continuer à rêver. La question, c’est pourtant la suivante : combien de temps cela peut-il durer ? À creuser son style, à plonger dans les questionnements, quand viendra le bout du concept et le début de la lassitude ? My Method Actor est le disque qui doit répondre à ces questions à propos d’une artiste encore jeune, mais dont on attend un cap de maturité.

Et ce qui est certain, c’est que My Method Actor ne vient pas prendre le contre-pied des précédents albums. La base de rock indé, de post-punk et de shoegaze s’est consolidée en une épaisse et efficace méthode de composition, qui permet à la Londonienne d’assurer un flow constant sur le disque. Pas de temps mort, pas de creux, pas de maximalisme dans le choix – probablement minutieux – des onze morceaux. C’est aussi ce qui fait la force de sa musique, de pouvoir se reposer quoi qu’il arrive sur le solide noyau guitare-voix qui l'a faite repérer en 2016. Maîtresse ès arpèges et mélodies, Nilüfer Yanya a décidément des qualités d’écriture qui laissent penser qu’on est pas prêt de la voir sortir un disque sans capacité d’accroche.

Même les éléments qui semblent nouveaux sont en réalité toujours rajoutés avec parcimonie et réflexion, avec l’évaluation de leur capacité à s’ajouter à ce noyau dur. On pense par exemple à la résurgence du grunge dans le refrain de « My Method Actor », qui est plus une version un peu énervée d’une distorsion de shoegaze qu’autre chose, mais qui lui permet de varier légèrement les sonorités.

C’est dans cet aise que les titres de My Method Actor enchaînent les questionnements sans réponse et les envolées lyriques - à croire que la maturité, la célébrité et la reconnaissance seront à jamais incapables de faire disparaître le doute. Peut-être même l’inverse ? En incompréhension du rôle qu’elle joue en tant que personne, de la façon dont elle doit laisser les autres la traiter et de ce qu’il faut attendre des relations, comme le laisse penser le « I play for your applause / Until you smile I’m fucking miserable » du premier morceau, elle se repose sur la douceur inquiète d’une certitude : il faut se laisser vivre ses émotions.

Les harmonisations très mineures du disque cèdent toujours aux résolutions d’accords, ce qui rend des titres comme « Binding » ou « Call It Love » particulièrement doux à l’oreille. Nilüfer Yanya, c’est la nostalgie maîtrisée, c’est le plaisir serein de se laisser aller à une certaine douleur intérieure. - « Can’t hurt, I’m broken inside ». Combien de temps cela durera-t-il ? Pas sûr qu’on puisse se lasser de son talent, et si elle apprécie tant ces questionnements, c’est précisément pour ce qu’ils laissent toucher d’infini. Album de la maturité, My Method Actor est surtout le disque d’une expérience de l’équilibre déséquilibré, et la confirmation d’une des plus grandes musiciennes de rock indé de sa génération.