MU.ZZ.LE

Chroniquer un mini-album n'est pas chose aisée quand il est signé de la main de Gonjasufi, schizophrène notamment responsable d'un mémorable fourre-tout lo-fi bourré de beats piochés sur d'obscurs vinyles rock (A Sufi & A Killer). On doutait que ce joyeux bordel aurait la chance un jour de bénéficier d'une digne suite, et c'est un sampler encore fumant sous le bras que notre rasta désabusé nous sort le grand jeu cette année avec MU.ZZ.LE, œuvre de genre aussi dérangeante que fascinante.

C'est comme d'habitude en piochant des samples sur de vieux vinyles oubliés que Sumach Valentine a accouché de ce western revu et corrigé qui fait passer une sale demie-heure à tous les Clint Eastwood et John Wayne du monde: terminés les brutes et les truands et les fusillades dans les bars miteux; place aux quêtes spirituelles sous champis vendus sous le manteau par des indiens. Optant pour l'exercice pointu du songwriting-fleuve, MU.ZZ.LE consacre une aire de jeu perchée du plus bel effet pour le MC bouffi qui étend son flow et son spleen sur ces dix titres conçus comme un ensemble sombre et mental, où réverbations dub hallucinées se heurtent violemment à une cascade de guitares morriconiennes sous Tranxène. Ici, chaque espace, si minime soit-il, est ici exploité à la perfection (le combo «Nickels & Dimes»/«Rubberband » en est d'ailleurs le plus beau témoin) et s'inscrit de façon percutante dans la narration labyrinthique et riche de ce hip-hop chopped & screwed qui ferait presque passer le côté débridé de son aîné pour une vulgaire erreur de jeunesse.

Travail d'orfèvrerie à l'atmosphère unique, MU.ZZ.LE est un nouvel acte de piraterie taillé à même le marbre par un Gonjasufi qui se pose en véritable pape du cratedigging moderne, avec son œuvre calée gentiment entre Portishead et Madlib. Inutile de vous préciser que la grosse latte des familles est une fois de plus de rigueur avant l'embarquement immédiat pour ce voyage court mais trippant au pays des serpents à sonnette.