The Great Gatsby OST
Various Artists
Pour pouvoir introduire ce genre de projet collectif, il vaut mieux délaisser les angles d'attaque émotionnels et symboliques pour s'en tenir uniquement au très concret: le pognon. Alors que des dizaines de millions de dollars avaient déjà été engloutis par Baz Luhrmann pour mettre en production l'adaptation du Great Gatsby de F. Scott Fitzgerald, les studios se sont bien vite rendu compte que pour espérer retoucher un peu d'argent et aussi effacer les ardoises laissées par le réalisateur sur des projets précédents (un Alexander The Great avorté, un Australia que personne n'a vu) il valait mieux rééditer le coup de Moulin Rouge et trouver une bande-son pleine de tubes. Ils ont alors suggéré de manière très persuasive à Anton Monsted, responsable musical sur pratiquement tous les films du réalisateur, de trouver une formule originale ainsi qu'un plan marketing de première bourre pour vendre le tout. Anton Monsted n'a pas eu à lutter beaucoup pour l'idée marketing: il suffisait d'engager Jay-Z et lui prêter la paternité du projet. Vieille marionnette rompue à tous les exercices commerciaux pour ses maîtres (fringues, équipe de basket, ...), Jay-Z a accepté sans trop discuter et pendant qu'il hurlait dans tous les tuyaux de la superstructure médiatique que le film l'avait tellement inspiré qu'il s'était décidé à lui offrir une compilation sans précédent, Monsted se mettait au travail dans l'ombre pour sélectionner des artistes top trendy et les fondre dans l'esprit du film. Et c'est-là que tout merda.
Alors que le film essayait une rencontre entre l'Amérique des roaring twenties et un format stylistique des années 2010, cette bande-son a malheureusement été conçue à l'envers : non pas comme une renaissance du jazz à notre époque mais comme un clin d'oeil de la pop contemporaine au jazz. Catastrophe. L'immonde "A Little Party" commence par quelques instruments à vent façon ragtime avant qu'ils soient écrasés par des tonnes de synthé dont la vulgarité n'a d'égal que celle de la voix de Fergie qui partage cette chanson avec Q-Tip. Le pauvre Q-Tip qui, il y a quelques années, revendiquait une sorte de filiation avec Miles Davis se retrouve à faire du son pour cabine d'essayage chez Abercrombie & Fitch! "Where the Wind Blows" de Coco O est plus discret mais aussi pathétique dans son dénuement de tout ce qui a pu faire le génie de la musique afro-américaine pendant un demi-siècle. Tout est mécanique, rigide, sans aucune fulgurance improvisée. Ça continue avec "Love is The Drug" par le Bryan Ferry Orchestra. Il y a aussi la reprise très attendue de "Back to Black" par Beyoncé et André 3000 qui arrive juste à nous convaincre qu'elle n'est pas capable de chanter autre chose que l'extase festive et qu'il n'est pas le descendant de Prince. Ça recommence de plus laide avec une reprise "sonne jazzy un peu pour voir" du "Crazy in Love" de Beyoncé. On dirait du Zaz mais les crédits jurent que la fille qui chante s'appelle Emeli Sandé.
L'expérience est affreuse mais constitue une illustration sublime du gouffre qu'il y a entre le R'n'B contemporain, même le meilleur (l'original chanté par Beyoncé était une grande chanson), et le jazz. L'incompréhension est totale et on peut se demander ce qu'ont pu faire John Coltrane et Charlie Parker pour que leur musique soit obligée de souffrir ce purgatoire dont on se demande bien quand il finira. Quelle faute a été commise pour mériter ça? C'est au moment où on se dit que ce n'est peut-être qu'un mauvais moment à passer qu'arrive Will.I.Am avec "Bang Bang". À ce niveau d'horreur, on ne peut plus parler du léger inconfort passager du purgatoire mais de la présence sulfurique du Diable au milieu du neuvième cercle de l'enfer. S'il est clair que rien ne peut sauver ce disque, est-il encore permis d'espérer qu'un miracle sauve le jazz un jour?
Le reste de la bande originale est constitué de divers morceaux cherchant pataudement l'émotion. The XX, Sia, Jack White, Gotye, tous sont un peu ridicules à divers degrés avec de mauvaises ballades. Un seul beau bijou est à garder, l'inévitable Lana del Rey qui mêle intelligemment l'orgueil et le doute sur "Young and Beautiful" pour toucher l'un des thèmes du film et du roman: la permanence de l'amour. Lana del Rey... Cette si incroyable correspondance entre sa pop de génie génétique dans laquelle on se surprend à croire à l'existence d'une âme et ce physique touchant d'américaine moyenne boosté par l'industrie du divertissement... Dommage que les producteurs n'aient pas pensé à elle pour incarner à l'écran Daisy, le grand amour de Jay Gatsby, entre les costumes de soie et les effets 3D. Dommage qu'ils ne lui aient pas demander de produire intégralement la bande originale qui, en l'état, coule d'accumuler des poids lourds n'ayant rien compris au souffle léger et puissant du jazz.