Music For City And Nature
Shook
Parfois on a besoin de travailler malgré la paresse ; parfois on est à la campagne et on a envie de se sentir en ville ; parfois on est vieux et on a envie de se sentir jeune. Et la beauté de s’acharner à suivre l’actualité musicale, c’est d’avoir toujours sur soi la capacité de se transformer, avec le disque capable de faire advenir cette petite force qui nous manque et qu’on ne trouve pas ailleurs. Et dans ces dizaines, centaines ou milliers d’albums qu’on trimballe en nous ou qu’on cherche à éloigner, il y a ces disques qui paraissent insignifiants aux oreilles des autres, mais qui nous font tant de bien, parce qu’ils construisent à eux seuls cet espace dans lequel on éprouve régulièrement le besoin de se lover.
Pour moi, Shook est l’artisan de ces petits objets musicaux que je suis rassuré d’avoir toujours à mes côtés. Et pourtant, on aurait du mal à saisir l’évidence d’un discours intellectualisant ou esthétisant sur ses productions. Le Hollandais avait commencé dans l’anonymat le plus total – anonymat qu’il n’a peut-être jamais réellement quitté malgré les gros chiffres de sa page Spotify – avec une sorte de French Touch adoucie et qui offrait l’avantage d’une fraîcheur salvatrice à l’époque où on était déjà en post-post-trop plein de Ed Banger.
Dans une actualité où l'on cherche le disque qui va tout mettre dans la tentative d’expérimentation, de transformation ou d’accomplissement, la nécessité de rendre hommage à des albums comme Music For City And Nature est plus important qu’on le croit. Et là où l’artiste qui devient créateur d’altérité passe du temps à évincer de la page blanche les redondances, les redites et les évidences, Shook les impose. Est-ce que c’est ça, céder à la facilité ? Peut-être, mais on préfèrera y voir le travail d’un musicien en recherche d’un équilibre dans la masse de tout ce qui a déjà été écrit.
Vous allez les entendre : la French Touch, les musiques de film des années 1970, l’italo-disco, l’ambient japonaise des années 1980, les soundtracks de jeux vidéo. Est-ce que ce sera autre chose ? Non. Mais comme avec ce groupe de reprise qui a ce petit truc qui vous ressemble et qui joue dans ce bar que vous aimez, on y trouve autre chose que ce qu’on cherche d’habitude. Car chez Shook, il y a de la douceur, de l’inventivité dans ce qui apparaît de l’extérieur comme un grossier mash-up, un amour de la mélodie qui, plus que de s’assumer, ne se questionne probablement même pas. Et puis, au-delà de la subjectivité d’une histoire personnelle qu’on a partagée avec l’artiste sans même qu’il le sache, il y a ce sentiment vague et ineffable que sa musique a quelque chose en plus, capable d’attirer à elle les émotions.
Music For City And Nature n’est pas bien différent de Bicycle Ride, son disque précédent : les deux albums ne sont rien d’autre que ce qu’ils proposent dans leur titre. Une musique qui accompagne l’existence, et qui ne fait que l’effort de trouver une place dans la fluidité du quotidien. Peut-être que sa dernière production va encore plus loin hors que ce qu’on en attend, et ose un kitsch à mi-chemin entre Zelda et Brigitte Bardot qui pourrait rebuter ou rendre indifférent.
Alors si je mets 0/10 au disque, ce n’est pas pour lui imposer une critique ou pour vous montrer à quel point je peux être arbitrairement sévère lorsque je juge un artiste, c’est plutôt que j’ai envie de vous laisser lui mettre votre propre note ; parce qu’avec ces petits paragraphes, j’ai moins l’impression de faire une chronique que celle, plus intime, de vous présenter un pote.