Music
Benny Sings
À la surface, il y a chez Tim van Berkestij ce qui pourrait passer pour un manque d’ambition flagrant : non seulement son nom de scène est Benny Sings (et pas besoin d’être diplômé en langues germaniques pour comprendre), mais en plus, il a choisi d’intituler son nouvel album Music. En gastronomie, un plat équivalent serait purée – compote – saucisses. Mais à l'instar du combo le moins inspiré de l’histoire de la cuisine, la musique de Benny Sings gagne en saveur tout ce qu’elle perd en originalité, et sa science du goût ne fait que s’affiner avec les années, et jouit d’une exposition planétaire depuis que le singer-songwriter néerlandais s’est fait débaucher par Stones Throw – une reconnaissance bien méritée pour un artiste apparu à l’entame des années 2000, à l'époque sur le label de Jazzanova.
On l’a déjà dit ici, mais malgré une certaine discrétion, le label de Peanut Butter Wolf n’a pas arrêté de sortir des bonnes choses. Disons plutôt que, comme Ed Banger en France, l’envie d’innover a été remplacée par celle de se faire plaisir, et la frénésie des débuts par une modération très maline. C’est ainsi que Pedro Winter vient de sortir le formidable album de Myd et de signer le génial producteur suisse Varnish La Piscine, et que Peanut Butter Wolf a craqué ces dernières années pour le post-punk minimaliste d’Automatic ou le R&B de Sudan Archives. C’est également dans cette même dynamique de pur plaisir qu’il est allé chercher Benny Sings dans son home studio amstellodamois. Ses premiers faits d’armes pour le label furent une beat tape pleine de chouettes petits bouts d’idées et surtout une reprise du « Passionfruit » de Drake dont il est tout à fait acceptable de dire qu’elle dépasse l’original, lui ôtant son vernis vaniteux pour en révéler toute la magnificence de la mélodie. Deux références qui permettent de bien définir les contours de son univers, dont il ne cache pas les influences conjuguées de la (city) pop, du hip hop, de la soul et de l’AOR – si vous ne connaissiez pas cet acronyme, écoutez ceci.
Depuis, tout roule pour Benny Sings, qui avance discrètement ses pions, sans vraiment se soucier du monde qui l’entoure. Et c’est tant mieux : il ne faut pas prendre beaucoup de recul pour comprendre que la vie que nous vivons, les choix que nous posons, et les valeurs que nous incarnons en tant que société nous placent actuellement juste devant le moyenâgeux de base, et juste derrière un chat. Aussi, la musique de Benny Sings peut être conçue comme une bulle rassurante, absolument coupée du temps et propice à nous redonner foi en notre propre humanité. Vous avez dit feel good ? Oui, absolument. Et « Lost Again », « Break Away » ou l’imparable « Nobody’s Fault » sont là pour dissiper le moindre doute qui pourrait encore vous habiter à ce stade. Mais ce qu'il y a de formidable avec Benny Sings, au-delà de cette perfection mélodique qu’il s’astreint à chercher en permanence, c’est la façon dont l’économie de moyens qu’il s’impose parvient à accoucher d’une musique d’une réelle épaisseur ; où le moindre arrangement, aussi discret soit-il, parvient à élever le titre.
Même quand Music passe en mode mélancolique, comme sur la love story foirée « Here It Comes », Benny Sings parvient toujours à nous laisser avec un sourire en coin, et la conviction que les jours meilleurs, c’est déjà demain. D’ailleurs, vu la façon dont il enrobe certaines de ses compositions, on ne s’étonne qu’à moitié de croiser sur le disque Tom Misch ou Mac DeMarco, le clown triste préféré de la génération X – surtout que l’on comprend assez vite en les entendant se renvoyer la balle que le Néerlandais est en fait la version moins slacker et plus glitter du Canadien. C’est bien simple : hormis l’album de Myd dont on vous parlait plus haut, on a dû mal à voir quel autre disque parviendra à faire l’unanimité cet été.