MUDBOY
Sheck Wes
Plus le temps passe, plus le star system se débride. En France comme aux États-Unis (et sans doute dans tous les pays où la jeunesse squatte Youtube toute la sainte journée), des monsieur Tout-le-monde un tantinet charismatiques peuvent rapidement devenir les icônes de toute une génération. Si l'Hexagone a été récemment fasciné par la belle gueule et l'histoire de Moha La Squale, la dernière excentricité en provenance des US of A se nomme Sheck Wes, qui débarque avec un premier album, MUDBOY, qui sort un peu plus d'un an après l'apparition en ligne de ses premiers morceaux, et quelques mois après une signature conjointe sur Cactus Jack, le label de Travis Scott, et G.O.O.D Music, celui de Kanye West. Vous avez dit fulgurant?
Le conte de fées 2.0 qu'est la vie de Sheck Wes explique la fascination qui l'entoure: tous les éléments importants de sa vie se retrouve dans une musique qui combine Harlem (là où il a grandi), le Sénégal (là où sa mère l'a envoyé histoire qu'il revienne sur le droit chemin), les terrains de basket et les podiums de défilés de mode. Quant à l'excentricité dont fait preuve le rappeur, elle permet de donner vie à des bangers particulièrement efficaces - comment ne pas citer le fameux "Mo Bamba", du nom de son ami drafté par le Magic d'Orlando, et qui nous maintient dans un état d'euphorie davantage attribuable au magnétisme de son interprète qu'aux trouvailles instrumentales du titre. De fait, les productions assez minimalistes du projet permettent justement à Sheck Wes de partir en roule libre, passant des vociférations aux susurrements avec une réelle aisance. Et parce qu'on est en 2018, les ad-libs fusent, allant du tristounet "MUDboy" au prestigieux et inventif "bitch", qui est de loin le plus présent. Personne avant lui n'avait utilisé le terme.
L'inventivité et la créativité qu'on prête à Sheck Wes sont réelles. Enfin, en partie. Car malgré des visuels détonnants (coucou "Chippi Chippi") et une esthétique déroutante, le moule du rappeur subversif, cool et original se fissure à mesure que le natif de Harlem glisse sur les bananes conventionnelles. Entre une utilisation excessive des ad-libs (presque un pléonasme aujourd'hui) et une écriture peu imagée et introspectif, Sheck Wes rentre dans la case des artistes bien plus intéressants en interview que sur disque. En France, le prodigieux Alpha Wann justifiait son absence médiatique en expliquant que tout ce qu'il avait à dire se trouvait sur son album. Et il avait raison. A l'inverse, Sheck Wes se sent peut-être obligé d'en faire des caisses pour expliquer son parcours et livrer sa note d'intention. A l'arrivée, l'image qu'il propose est celle d'un artiste n'ayant pas la profondeur nécessaire pour que l'on se fasse une image claire de l'homme. C'est d'autant plus frustrant que l'homme semble être bien plus intéressant que nous ne laissent supposer les 14 pistes que nous propose l'artiste.