MTV Unplugged (Live At Hull City Hall)
Liam Gallagher
Il existe au moins deux (en réalité bien davantage) incompréhensions autour d’Oasis, et ce depuis de trop nombreuses années pour espérer quelque changement.
La première : le groupe ne serait que l’œuvre de deux frangins passablement idiots, auteurs bien malgré eux d’une poignée de titres gras du bide, remplisseurs de stades quand quantité de leurs contemporains (Blur, Pulp, Menswear pour les plus audacieux) méritaient bien plus d’attention, et apportaient plus de soin à leurs productions. Et s’il s’agit là d’une négation aussi imparable que régulière de tout un pan sociologique et populaire de leur discographie, de leur histoire, il semble trop tard, en 2020, pour affirmer sérieusement que non, Oasis, ce n’est pas uniquement “Wonderwall”. Mais passons. Tant pis.
La deuxième incompréhension est, elle, bien plus logique : Liam Gallagher serait un gros bouffon, une grande gueule tout juste bonne à exciter la presse, en premier lieu britannique, un showman débile vivant une carrière établie par son frère compositeur. Bref, un inculte et fier de l’être. De fait, Liam Gallagher est un excellent client : il raconte des énormités, drôles ou pathétiques selon le lecteur, se plaît à confondre l’homme et le personnage, s’enlisant année après année dans une caricature de rock star imbue d’elle-même, quand bien même sa carrière ne parle plus pour lui (la fin d’Oasis, suivie par les deux albums, ratés, de Beady Eye). Promis, nous n’allons pas tenter ici, maladroitement et vainement, de laisser penser que les dix années ayant suivi la dissolution du groupe, en 2009 lors du festival Rock en Seine, furent en réalité les plus belles années du rock’n’roll. Cependant, force est de constater que Liam Gallagher, depuis 2017 et la sortie de son premier album solo, est devenu… autre chose. Ce qu’il ne fut jamais, finalement : un compositeur de haute tenue, et surtout, le meilleur artisan pop de la fratrie.
Comment en sommes-nous arrivés là ? D’une part, Noel Gallagher opta, après le split, pour toujours plus d’expérimentations, noyant ses compositions sous des effets inattendus (une joueuse de ciseaux l’accompagne sur scène, pourquoi pas), mais surtout, se perdant dans ses envies, désireux de renier ce qui fit sa gloire (les chansons à quatre accords) pour tenter de convaincre (qui et pourquoi ? On l’ignore) qu’il peut bien plus. Pourtant, si son premier album sous le nom de Noel Gallagher’s High Flying Birds comportait encore de franches réussites, majoritairement composées à l’époque d’Oasis, les deux suivants enfoncèrent un peu plus le clou. Rien à fredonner, rien à célébrer, une production sans saveur, quelques singles très faiblards, des textes peu inspirés, du fade en somme, à l’image de cet inédit d’Oasis qu’il fut tout heureux d’exhumer il y a quelques semaines, sans aucun doute la chute de studio la moins intéressante de l’histoire des chutes de studio. Triste, quand on sait que l’un des meilleurs albums du groupe est un recueil de faces B. Noel Gallagher, désormais, ne s'embête même plus à sortir des albums, collections concrètes, solides et réfléchies de titres agencés pour raconter une histoire, mais opte pour des singles à répétition, accompagnés de remixes. Des compositions pauvres, qui ne racontent qu’une seule chose : l’inspiration s’est tarie. Cela arrive. Parfois.
Liam Gallagher, de son côté, accoucha avec As You Were d’un premier album solo acclamé par la critique, acheté par le public, avant de s’embarquer pour une tournée mondiale. Deux ans plus tard, presque jour pour jour, Why Me ? Why Not ? confirmait la bonne santé du petit frère. Certes, le producteur et compositeur Greg Kurstin, dont le CV comporte le single “Hello" d’Adele mais aussi Sia, Céline Dion, Kelly Clarkson, ou encore Pink, n’est pas là par hasard. Il a façonné les brouillons, musclé les ambitions, apportant soutien, écriture, glamour, charts. Mais Liam Gallagher reste compositeur, interprète, vitrine. Et a réussi ce tour de force : il était déjà le frontman, la gueule, il est désormais l’héritier d’une tradition pop, et le véritable auteur d’une nouvelle carrière, quand son frère, lui, tourne le dos à la sienne. Ce que ce Unplugged vient confirmer.
Sur le papier, rien de nouveau sous le soleil : un live plus ou moins acoustique, tout du moins épuré, frappé du sceau MTV. Dans les faits, pas vraiment une première non plus. En 1996 déjà, Oasis livrait une prestation étrange, Liam Gallagher ne daignant monter sur scène, prétextant un mal de gorge, pour laisser son frère se farcir le boulot, tout en apparaissant au balcon, fumant comme un pompier. Le résultat final n’avait rien de honteux cependant. Il manquait seulement d’éclat, la voix de Liam en 1996 étant rien de moins que la plus belle, hargneuse, conquérante du marché. Près d’un quart de siècle plus tard, elle aura eu le temps de s’enrailler, de perdre, sur bon nombre de live et quelques titres studio, de son éclat. Mais depuis quelque temps, elle est de retour, preuve en est ce disque live sur lequel elle est particulièrement mise en avant, vaguement à mal le temps des deux premiers titres avant de tutoyer de nouveau quelques sommets. Dix titres, pas un de plus, et une association quasiment parfaite de quelques morceaux en solo (“Once”, “One Of Us”, manque cruellement “Chinatown” malheureusement) et de singles d’Oasis chéris des masses (“Champagne Supernova”, Stand By Me”, “Some Might Say”). Soit l’exacte recette de ses tournées récentes, durant lesquelles, à l’inverse de son frère encore une fois, plus que jamais exténué à l’idée de clore ses lives avec “Don’t Look Back In Anger”, Liam embrasse son passé, son héritage, son fardeau, mais avec le sourire.
Sur ce MTV Unplugged, il ne réinvente pas son catalogue, tel un Nirvana sublimant son œuvre, ou le son pop rock des années 90, à la Clapton. Le Unplugged de Liam Gallagher est en tous points poli, soigné. Le décor lui-même, Hull City Hall, semble hésiter entre la foule et l’intimiste. Alors quoi ? Alors c’est autre chose qu’il se passe ici. Plage 6, durée 4 minutes et 30 secondes. “Sad Song”, sans aucun doute l’une des plus belles chansons d’Oasis, chantée à l’origine par Noel Gallagher, est ici interprétée, au cœur de la performance, par Liam. Cette chanson ne lui appartient pas, elle ne lui a jamais appartenu, et pourtant, il la transcende, la fait sienne. Ce choix n’est pas anodin. D’une part, il n’a plus peur de se mesurer au frère aîné, sur son propre terrain. D’autre part, là où “Stand By Me” et “Champagne Supernova” étaient noyées sous les guitares, “Sad Song” n’est rien d’autre qu’une chanson au coin du feu, une acoustique simple, épurée. S’y attaquer, c’est, en temps que chanteur, se mettre à nu, s’exposer, se mettre en danger.
Quiconque a vu Liam Gallagher ou Oasis en concert le sait : les surprises sont rares, les chansons font le spectacle, pas les musiciens, et Liam de s’en sortir, en cas de doute, de voix qui tremble, par une pirouette, un doigt d’honneur, une démarche de branleur. Et la foule d’acclamer ! Impossible ici. Ce Unplugged est un témoignage étonnamment poignant d’un homme de 47 ans qui n’a jamais eu le courage de se regarder vieillir, qui refuse d’avouer que certaines des plus belles choses sont derrière lui, et qui livre une (dernière ?) bataille, pleine de nostalgie, de hargne aussi. Inculte, fier de l’être sans doute. Mais toujours debout. C’est la seule chose qui compte.