Mr Sal
Niska
Comme une frite le vendredi, comme un grec dans ton quartier, Niska c’est le Whooper du rap. Bénéfice direct, en très peu de mouvements. On a beau savoir que la recette est claquée, on y retourne avec plaisir. Et pas besoin de savoir si l’on se fait gruger ou non, l’important c’est ce qu’il se passe dans les tripes. C’est lourd, ça tombe, et même l’indigestion ne pourrait rien y faire : la graille est royale. Certes, une série de nouveaux gimmicks ou d’adlibs à répétitions pourraient tout de même épuiser l’auditeur. Comme le rappeur du 91 le confesse, sa recette – aussi lucrative soit-elle – possède bien quelques épices dont le surdosage conduit à l’écœurement ; demandez-lui seulement de souffler un petit Pouloulou.
Alors, comment tenir sur un disque long de 18 titres ? C’est précisément la qualité que Mr Sal vient proposer avec une épopée charesque calibrée comme jamais, malgré son rapport calorique fort en protéines. Si Commando délivrait un produit brut et efficace, il est ici taillé, lissé ou ajusté. Les rappels et les liens directs sont en ce sens nombreux, qu’ils touchent aux mélodies (« Siliconé » reprend par exemple le flow de « Réseaux », « Bâtiment » celui de « Salé ») ou au contenu (de Mendoza à Medellín, il n’y a qu’un pas) – pour plus de saveurs, on vous laisse découvrir seul le reste du menu.
En laissant de côté l’écueil de l’album de la maturité, il s’agit à n’en pas douter d’une nouvelle maîtrise, Commando probablement sorti trop vite pour surfer sur la vague de « Réseaux ». Les morceaux sont ainsi tous nuancés entre titres de clubs et titres plus appuyés, dont les diverses énergies s’opposaient trop abruptement sur le disque précédent. Les émotions qui s’en dégagent paraissent alors plus justes, plus honnêtes (avec la mélancolie particulière de « Hasta Luego » pour preuve) : un charo sérieux ne compartimente pas sa vie entre danse, rigolade de mongole et stratégie de combat. C’est un tout solidaire. Frites crudités.
Du glock au glockenspiel, Mr Sal est donc un album de contradictions permanentes, d’une seule pièce. Les invités ne sortent d’ailleurs pas non plus du rang : Koba LaD – qui écrase pourtant habituellement Niska en termes de présence – se fait conduire sur « Tous les couler », Ninho reste humble en n’imposant pas l’ampleur de sa voix et Heuss L’enfoiré lâche quant à lui l’un des meilleurs couplets de sa carrière, en prenant juste un peu plus le temps, sur un « Moula » tout droit sorti de son industrie creuse – au passage, ne devient-il pas lui aussi plus honnête en livrant la phase j’ai trop tisé, j’suis matrixé, non vraiment je ne sais même plus c’que j’disais, venue peut-être pour rappeler son planète rap catastrophique.
La campagne de com’ qui accompagne cet album n’est donc pas exagérée. Si Mr Sal n’est pas un disque inaugural, il se présente comme le meilleur projet de l’artiste : un ensemble abouti que l’on peut consommer en l’état, loin des playlists réservées aux seuls showcases à venir. Sans se travestir, dans une expression directe, Niska vient ainsi de délivrer un produit carré dont les impacts positifs ne dépendront plus que des habitudes des consommateurs. À tous moments, le service est assuré – dans ce type de configuration, seule cette règle compte.