Mosaic
Fennesz
Il y a des choses qui ne veulent décidemment pas changer. Je reviens d’une pause de six ans à la rédaction de mon média préféré pour me retrouver presque instantanement avec un nouveau disque de Fennesz à chroniquer. Comme si la grande marche du monde n’avait aucun impact sur lui, l’Autrichien est toujours là, à composer inlassablement pour les meilleures écuries – cette fois encore sur Touch Music, avec le gratin de la scène expérimentale – et à être écouté par les mêmes dandys. On est à un tel niveau de sérénité dans l’effort que le disque se décrit sans complexe comme étant composé suivant une sorte de morning routine tout à fait stricte. Pas de concept initial, pas de matériau de base, tout part d’une composition 9 to 5, avec une pause de midi entre les deux. De l’improvisation à la collection d’idées, suivies de l’écriture à proprement parler, de l’édition et de la correction. On ne peut pas faire plus scolaire. On appelle ça Mosaic à la fin, pour être sûr d’être bien transparent sur la méthode et on sort ça en toute tranquillité sur un des labels les plus référencés du genre.
Christian Fennesz est donc là pour la énième fois avec ses guitares préparées, son ambient grésillante, sa classe naturelle et son savoir-faire impossible à tester. Il y a un tel niveau de composition chez lui qu’il n’y a aucune raison d’amener ça autrement, de vendre sa musique pour autre chose. La densité qui se dégage de Mosaic dès les premières écoutes finit d’acheter notre confiance, avec toute la discrétion de son field recording au millimètre (« Heliconia »), le timbre dissonant de ses arpèges, ses murs de son qui donnent envie de faire l’amour avec la mer (« Patterning »), la précision de son bruit blanc (« Personare » ou « Loved And Framed Insects », mama mia que c’est beau) ou la force évocatrice de ses glitchs signalétiques (« A Man Outside »). L’empreinte sonore de son auteur est partout et on sent que tout le temps nécessaire a été investi dans ces cinquante minutes de dérivations et d’expérimentations. Vous me direz « oui mais Simon, tu ne nous racontes rien ici » et je vous dirai que vous avez raison, et qu’à un moment il faut juste sauter le pas, s’envoyer une dizaine d’écoutes au casque afin de comprendre une bonne fois pour toutes que Fennesz est une légende de son époque et qu’il en devient presque casse-couilles à être inattaquable dans son art.
Mosaic ne défend aucun thème, il est juste bien là : varié, humble et puissant. Et si Christian Fennesz est devenu aujourd’hui le Laurent Voulzy de la scène ambient/drone/field recording; comprenez par là un mec qui ne fait aucune vague et qui revient tous les quatre ans avec un disque rempli de gimmicks de guitares impeccables – on voudrait surtout que rien de tout cela ne change. L’élégance ne s’achète pas, on est donc heureux de voir notre sexagénaire faire ce qu’il sait faire de mieux, sans complexe et sans aucune véritable tentative de se renouveler – « Goniorzon » impressionne tout de même au-delà de l’habituel avec ses six guitares préparées rééditées à l’extrême. Une nouvelle prestation solide de notre Cricri d’Amour, en attendant son retour inéluctable dans une poignée d’années.