Monday's Ghost
Sophie Hunger
Toutes celles et tous ceux qui sont attirés par la mélancolie et la tristesse, non par voyeurisme mais par conviction que la beauté de l'art naît davantage dans la souffrance que dans l'euphorie, auront une tendance naturelle, voire instinctive, à se tourner vers le premier album de Sophie Hunger, Monday's Ghost. Hunger, c'est la faim en allemand, celle qui déchire les ventres et détruit les vies. Ce fantôme, celui du lundi, c'est celui qui ne verra pas le soleil car, comme chacun sait, le lundi au soleil, c'est quelque chose qu'on n'aura jamais. Ajoutez à cela une pochette intrigante de sobriété, avec ces mots écrits d'une main maladroite, une chanson en allemand ("Walzer für Niemand"), et vous vous dites que vous tenez là entre les mains une œuvre d'une sensibilité à fleur de peau, dans la veine de l'Autrichienne Soap&Skin.
Oui et non. La première piste, "Shape", désarçonne l'auditeur qui pensait, au vu de l'enrobage, tomber sur une amande amère et qui, finalement, savoure une noisette aux arrangements hispanisants. Car Sophie Hunger, malgré son nom, malgré tout ce qui vient d'être énuméré, est en réalité la petite cousine musicale d'une autre Sophie, Auster cette fois, grâce à des titres folk comme "Birthday" ou "Drain Pipes". Ses chansons sont peut-être mélancoliques pour certaines ("Monday's Ghost"), mais, globalement, la beauté et la puissance de sa voix chaude et ensorcelante, la richesse des arrangements, la classent irrémédiablement dans un registre pop. Heureusement, si certains morceaux comme "Teenage Spirit" ou "The Boat is Full" témoignent d'une envie peut-être un peu trop prononcée de passer à la radio, rarement Sophie Hunger ne verse dans la guimauve honteuse, hormis peut-être le refrain embarrassant de "Round And Round".
Pourtant, malgré ces qualités d'évidence qui destinent ce Monday's Ghost à des oreilles tous publics, on préfère retenir de Sophie Hunger ses chansons les plus étranges, les plus tourmentées. Car on n'avait pas tout à fait tort en pensant, de prime abord, trouver ici une œuvre personnelle et touchante. En témoigne l'incroyable "Rise And Fall", probablement le sommet de l'album, en trois mouvements, dont un intermède a capella franchement inattendu, et un refrain d'une beauté époustouflante, ou encore "House of Gods", délicate et belle. Quant à "Walzer für Niemand", déjà citée, il s'agit d'une ballade d'un dénuement émouvant et qui donnerait presque envie de se mettre ou de se remettre à la langue de Goethe, à la manière de Tokio Hotel, qui font la joie des profs d'allemand complexés par l'insuccès notoire de cette langue au collège.
Difficile donc de cataloguer Sophie Hunger. Pop, folk, rock, quelques touches de musique classique, la jeune Suissesse de 25 ans est rarement là où on l'attend et excelle dans chacun des registres abordés dans cet album assez enthousiasmant et qui atteste, faut-il le préciser, d'une maturité étonnante qui n'est pas sans faire penser à la géniale Fiona Apple pour, notamment, ce piano rageur presque omniprésent. Sophie Hunger, donc, qui a visiblement soif de reconnaissance, parvient avec ce disque à combler notre faim de jolies chansons pop habitées.