Miracle-Level

Deerhoof

Joyful Noise Recordings – 2023
par Jeff, le 9 mai 2023
8

Deerhoof est un groupe remarquable. Remarquable au sens premier du terme déjà, lui qui capte instantanément l’attention de celui ou celle qui prête à sa musique une oreille même distraite. Remarquable, car il aura toujours eu pour carburant une détestation absolue du surplace, ce qui n’est pas toujours le cas quand une formation approche les 30 années d’activisme. En ce sens, la carrière de Deerhoof, qui a régulièrement frôlé avec le « mainstream indie » dans les années 2000 (les tournées avec Radiohead et Beck en attestent), est un exemple d’intégrité. Mais bien qu’on parle d’un groupe exigeant avec lui-même, ses différentes composantes n’oublient jamais que leur musique doit rester suffisamment fraîche et maline pour qu’elles continuent de prendre du plaisir.

Et ce plaisir, celui-là même qui fait souvent faux bond à ces formations pour qui la musique est devenue utilitaire, est une nouvelle fois la première chose qui nous saute aux oreilles quand on lance le 19ème album du groupe, le premier à avoir été entièrement produit, enregistré et mixé dans un studio d’enregistrement, et le premier à être chanté en japonais, la langue de la bassiste et chanteuse Satomi Matzuzaki – même quand c’est le batteur Greg Saunier qui s’y colle, comme sur le très beau « Everybody, Marvel ». On pourrait bien sûr penser que Miracle-Level sera juste un album de plus dans la discographie d’un groupe en pilote automatique, mais Deerhoof nous rappelle à chaque cassure, à chaque trouvaille mélodique, à chaque perle qu’il enfile l’air de ne pas y toucher, qu’il reste un groupe important, pour ne pas dire essentiel de la scène alternative américaine.

Malgré son apparente simplicité, la musique de Deerhoof ressemble à une grosse savonnette pour le chroniqueur bien en mal d’en proposer une description qui rende justice aux expérimentations du quatuor. Car sur Miracle-Level, Deerhoof épate une fois de plus par sa capacité à produire un album dont aucun titre ne ressemble au précédent, mais dont la somme des parts ne ressemble pourtant qu’à Deerhoof. En onze morceaux qui oscillent entre pop cristalline et rock accidenté, mélodies évidentes et parties plus expérimentales, Deerhoof sort de l’armoire des ingrédients que l’on peine souvent à identifier – pour ce disque, Greg Saunier cite en vrac Nirvana, Rosalìa, Robert Schumann ou la musique cajun, ce qui ne doit franchement pas vous aider à y voir plus clair. Aux prises avec une forme avancée de chaos contrôlé, on se dit finalement que Deerhoof est un peu au rock ce que la fricadelle est à la gastronomie de friterie : tu as une vague idée de ce qu’ils mettent dedans, mais tu es incapable de la reproduire à l’identique - mais surtout, qu’est-ce que c’est bon.

Le goût des autres :