Mind the Gap of Silence
Martin Küchen & the Landæus Trio
La chronique que vous lisez prend racine à deux pas de l’Avenida da Liberdade dans une artère forcément pentue de la capitale portugaise où j’ai eu la chance de passer quelques jours cet été. C’est là, par un heureux hasard, que j’ai fait la connaissance de João, musicologue reconnu dans son pays et familier des cercles musicaux lisboètes. Au détour de la conversation, João me glisse le nom d’un label installé à quelques rues de là qui donne depuis 2001 dans le jazz contemporain, Clean Feed, et m’en dit le plus grand bien. Ignare, je découvre grâce à Google que ledit label a produit de vénérables artistes (Roswell Rudd, Joe McPhee, Anthony Braxton, Peter Brötzmann, Steve Lacy…) et quelques têtes moins connues (les passionnants Paal Nilssen-Love, Mats Gustafsson ou Rob Mazurek) voire pas connues du tout (de moi du moins). Leur point commun à tous demeurant leur vision up to date de l’effusion free.
Mind the Gap of Silence des Suédois Martin Küchen & Landæus Trio est la toute dernière sortie en date du label au demeurant très prolifique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet album donne envie de creuser le reste du catalogue tant l’interprétation du pianiste Mathias Landæus, de la batteuse Cornelia Nilsson, du contrebassiste Johnny Åman et du saxophoniste Martin Küchen y enchante. Ce dernier oscille entre sax ténor, alto et soprano pour donner corps à des compositions qui lui font la part belle ainsi qu’aux trilles du pianiste. L’un comme l’autre se montrent aussi à l’aise dans l’exercice feutré des ballades qu’ambitieux dans celui de la dissection des notes bleues. Landæus est omniprésent avec son langage délicat qui n’est pas sans rappeler celui de Bill Evans (« Sörkifsta », « Mind the Gap of Silence »), mais sait également s’effacer pour n’être plus qu’un tuteur harmonique discret, mais non moins indispensable à son partenaire qui se fait parfois plus remuant quand il emmène par exemple « Old harriot hat » ou « Love, flee thy house » sur des terrains plus cahoteux, mais sans aucune emphase et d’un ton toujours juste. « Sounds & ruins » qui conclut sur une note spirituelle ce Mind the gap of silence de haute volée, est l’illustration la plus convaincante de l’alchimie qui lie les quatre musiciens. Là, la rythmique imprime une fascinante patte nébuleuse que Landæus orne de ses chambres d’écho pendant que le souffle rauque de Küchen, invoquant Archie Shepp, scotche littéralement.
Vous n’avez donc plus besoin d’aller, comme moi, jusqu’au Portugal pour faire la connaissance de cet enthousiasmant quartet suédois. Pas forcément très bien distribuées dans nos contrées, les sorties Clean Feed gagnent pourtant à être connues et méritent donc que vous alliez faire un tour sur le Bandcamp du label.