Mind Bokeh
Bibio
C'est une évidence: même les meilleurs labels finissent parfois par prendre l'eau. Mais la descente aux enfers ne se produit pas partout de la même manière. Si l'on prend Warp à titre d'exemple, l'euthanasie s'est faite progressivement, sagement, comme pour éviter que la grenouille ne ressorte instantanément de la casserole d'eau bouillante. A condition de s'épargner de fausses euphories, depuis quand n'a-t-on plus célébré Warp comme le grand manitou de l'ère IDM/electronica? Où sont passées les claques que pouvaient infliger les découvertes d'un Ultravistor ou d'un Confield? Ce n'est pas vraiment un mal, car à des époques différentes correspondent des mentalité différentes. Toujours est-il que la transition a été plutôt (mal)habile : là où beaucoup attendait un improbable tour de magie, on s'est contenté d'assister à un recyclage plus ou moins masqué vers le plus grand bain dissolvant qui soit, à savoir la musique indie. Oui, aujourd'hui Warp est devenu un bon label, qui sort de temps à autre un bon disque de musique électronique.
Si Warp est désormais réduit à un simple cadre, il faut encore le remplir. Pour cela, la structure a su se retourner plus vite qu'un chat en pleine chute : Jamie Lidell nous fait un comeback retentissant – et un peu abrutissant aussi - déguisé en poète soul, les finauds Born Ruffians accompagneront désormais les insupportables Maxïmo Park au rayon rock de la boutique et on attrapera le talentueux (et prétentieux) Flying Lotus au passage pour mettre un peu de ghetto dans la soupe. A moins que vous pensiez plus rapidement à ce voleur de samples de Gonjasufi. Une nouvelle identité pliée en deux temps trois mouvements – et on ne vous a pas parlé de Battles, Darkstar (récemment débarqué) ou Grizzly Bear. Si l'avenir de Warp ne peut plus se concevoir que comme multi-directionnel, alors Bibio est sûrement le chaînon manquant à cette industrie du divertissement. La nouvelle boîte à hipsters peut en effet se targuer d'avoir appâté dans ses filets le plus pop de tous ses représentants, et ce toutes époques confondues. On vous parle ici du Bibio nouveau, celui qui semble avoir arrêté de nous palper les testicules avec ses inspirations folk-electronica tiédasses.
On vire donc l'époque Ambivalence Avenue et on dit bonjour à ce Mind Bokeh plus neuf, plus cool certainement. Si je voulais un bon disque de pop, je prendrais des refrains immédiats, un peu de funk à la bien, une guitare qui sautille et des lignes de claviers un peu vintage, un peu analo. Le disque sort sur Warp, j'y rajoute donc une touche de rythmiques boiteuses, pour l'illusion. Parfois ça marche, parfois ça foire. Ici c'est la même chose, on craque littéralement pour « Excuses » et « More Excuses » comme on vomit parfois sur autres choses sans savoir pourquoi. Peut-être parce que la guitare de « Take Off Your Shirt » annonce le refrain de Bevery Hills 90210 sur un fond de sous-Phoenix, peut-être aussi parce que l'agréable « Anything New » sorti du vocoder de Chromeo fréquente de trop près un Herbie Hancock du pauvre (« Light Speed »). Rajoute un peu de musiques calypso et t'obtiens le parfait mélange entre MGMT et le générique de La croisière s'amuse. On voyage donc entre micro-coups d'éclat et patine mielleuse.
S'il est certain que les hipsters lui trouveront quelques vertus miraculeuses, on serait tentés de dire que Mind Bokeh est un disque moyen, qui plaira aux plus amateurs de pop pour ses quelques brillantes inspirations et sa relative prise de risque. Idéal pour les beaux temps qui s'annoncent, entre une clope et une merguez. Pour le reste on se demande comment le label sortira du purgatoire. Un maître-nageur, vite!