Météo

Jäde

Entreprise – 2022
par Amaury, le 6 juin 2022
7

Au moment de célébrer le précédent projet de Jäde, Romance, sur lequel nous avions déjà eu un crush, on se demandait comment la Lyonnaise allait bien pouvoir poper et obtenir la notoriété que son talent méritait. Comme pour répondre à cette interrogation, sa mixtape Météo est venue nous confirmer que l’artiste n’envisage pas une seconde de céder aux facilités des sons clubs, et autres bangers en tous genres, afin d’y arriver. Pas de raccourcis pour les braves.

Au contraire, Météo se présente comme un disque subtil, aux multiples teintes que pourrait potentiellement recouvrir un projet « new R&B », sans jamais franchir la fine frontière qui le sépare des sorties pop en toc. Avec ses sonorités tout aussi frontales que grooves et ses textes sensuels ou mordants, la figure libérée qu’incarne Jäde rejoint celle de ses homologues américaines, qui baignent dans l’entertainment, sans pourtant proposer la dimension show et divertissement que l’on pense, à tort, indissociable de ces attitudes. Il suffit toujours pour cela de quelques notes, ou même d’un mot, pour faire de Jäde une Aya Nakamura simplement posée.

Une étape dans la carrière de la jeune chanteuse qui a pris pour habitude de parler d’amour en variant les formes selon ses humeurs : si ses plaintes et provocations amusées, gonflées d’arrogance et de suffisance, se sont ainsi souvent complu dans un lit de trap et de R&B, son discours et ses attitudes ont évolué vers une forme de rancœur froide, plus sombre et proche de la vengeance, que viennent donc nuancer des productions beaucoup plus fouillées, bien moins génériques. Il faut notamment saluer là le travail du producteur Guapo du Soleil (Gambi, Aya Nakamura, Edge) qui a chapeauté le projet en entrant parfaitement en résonnance avec l’univers de Jäde, dans lequel il a pu insuffler une vibe soul ou gospel plus que pertinente. Sa patte particulière s’est alors érigée comme la structure de la mixtape, jalonnée de références, autour de laquelle gravite la voix de la chanteuse.

Avec cette dernière, le projet trouve probablement une qualité unique. Au-delà d’un usage éloquent des basses sur les productions, les textes et leurs élocutions proposent une force suggestive rare : partout, ça sent le cœur et le cul, avec tout ce qui a de plus jouissif et déchirant quand l’amour fonctionne, ou non. A l’image de cette « Météo » toute subjective, le projet déborde de va et vient, de contradictions, de hauts et de bas – d’éclats. En apparence superficiels, ou au mieux, éphémères.

« Météo » retrouve les rythmes dansant de « roue libre », avec profondeur ; « Tais-toi » remplace les attaques adolescentes par une assurance et une détermination non feinte ; « reflets rouges » lâche des infrabasse longues sur des élans étirés beaucoup plus émus, avec la grandiloquence d’un Weeknd ; « balançoire » joue d’une naïveté lofi pour parler de sexe fort peu innocent ; quelques riffs funky habillent « Slowdown » comme les accords de piano adoucissent « #MenAreTrash » ; quand Oxmo Puccino clôture la mixtape, comme il l’avait fait pour Hamza, sur un morceau inspiré de grande classe, façon Aaliyah ou Whitney.

Il semble assez étonnant de la part de Jäde de vouloir qualifier Météo de mixtape, au vu de son réel aboutissement. Malgré son éclectisme, ses détours mélodiques et textuels, ses incertitudes, il s’en dégage une unité touchante. Ancrée dans le monde d’aujourd’hui, bousculée par les histoires d’amour et ses pulsions, obnubilée par des soucis d’adulescent, Jäde parvient à transmettre dans une musique de radio – un R&B ciselé bien que peu expérimental – l’émotion de celle qui sait déjà, désabusée depuis des siècles, et qui accepte malgré tout de jouer le jeu.