Memory Streams

Portico Quartet

Gondwana Records – 2019
par Émile, le 19 octobre 2019
7

Qu’est-on en droit d’attendre du Portico Quartet ? Dans le monde du jazz (au sens large), lorsqu’un album du Ezra Collective ou de Kamasi Washington sort, il est assez simple de tracer les lignes qui devraient en déterminer l’analyse. D’une manière générale, c’est l’appartenance à une mouvance qui permet très souvent le passage de l’écoute au discours sur cette écoute. Et plus cette mouvance est précise, plus les critères sont simples à appliquer.

Si bien que si vous connaissez un peu leur musique, vous aurez compris que discourir sur le Portico Quartet est une affaire peu commune. Le groupe anglais a toujours fait bande à part, et si des rapprochements sont possibles, par exemple avec GoGo Penguin ou Mammal Hands, on sent bien qu’on n'y est jamais tout à fait. Cette spécificité, Portico la doit bien sûr au hang, l’instrument de percussion qui sous-tend leur identité sonore depuis plus de dix ans, et qui est très peu utilisé dans le jazz – comme dans le reste des musiques actuelles d’ailleurs – étant donné qu’il n’a été inventé qu’en 2000. Mais l’unicité du Portico Quartet, c’est aussi une façon étonnante de naviguer entre les influences, toujours dans la surprise, jamais dans la violence, si bien que chaque album semble à la fois similaire et différent en tous points du précédent.

En 2014, lorsque le percussionniste Nick Mulvey laissait sa place à Keir Vine, on craignait que ce soit toute l’âme du groupe qui en pâtisse, et avec elle la lente transformation de leur musique. On est pourtant en 2019, et Memory Streams est bel et bien l’héritier d’un travail entamé en 2005. Avec Art In The Age of Automation, le quartette avait déjà mis de côté l’aspect acoustique et plus simple de leur musique pour se concentrer sur la construction de climats sonores. Cet accomplissement de la thématique ambient, qui avait toujours été présente dans leur musique, est alors parfaitement au point : les percussions dansent autour des synthés, des pistes sont presque indiscernables – ce qui n’était jamais le cas sur leurs premiers albums – et le saxophone bénéficie d’un travail bien mesuré d’effets.

Paradoxalement, c’est en insistant sur la notion de flux et d’ambiance que le Portico Quartet a trouvé l’aspect le plus pop de son histoire. Déjà marquant dans le disque précédent – notamment le morceau « Index » - le travail des mélodies s’inspire de plus en plus du post-rock et de la musique de films, si bien qu’on a beaucoup de mal à parler de Memory Streams comme d’un album de jazz. Mais peut-être le Portico Quartet n’a-t-il jamais vraiment mérité de porter ce terme.

Alors, qu’est-on en droit d’attendre du Portico Quartet ? Pas une musique qui cherche une quelconque révolution ; pas un album conceptuel ou une énorme prise de risque. Et on le comprend, tellement la formule fonctionne. Comme un disque de Mogwai, Memory Streams perfectionne un exercice absolument maîtrisé, dont on change le cadre uniquement par peur de l’ennui, et qui étonne à chaque fois du plaisir qu’on y prend.