Meet The Woo 2
Pop Smoke
Il y a des signes qui prennent une étrange signification après coup. Certains les qualifieront de prémonitoires, d'autres parleront de « curieuse coïncidence ». Deux coups de feu, un écran noir. Nul besoin d'avoir fait Harvard pour comprendre le sens tragique d'une telle séquence. C'est par ces images que se clôt le clip du « Dior » de Pop Smoke.
Le 19 février 2020, aux alentours de 4h30 du matin, le réel vient percuter de plein fouet la fiction : quatre hommes cagoulés s'introduisent chez Bashar Jackson, aka Pop Smoke, à Los Angeles. Quelques minutes plus tard, la police découvre le jeune homme avec plusieurs balles dans la poitrine. 20 ans, une carrière prometteuse et le voilà entre quatre planches. Chienne de vie.
Un épilogue tragique qui intervient moins de 15 jours après la sortie de sa seconde mixtape Meet The Woo 2 censé marquer l'avènement de Pop Smoke comme la « next big thing » de la drill – sous-genre de la trap apparu vers 2010 à Chicago et largement exporté vers le Royaume-Uni.
On parle à dessin d'une carrière prometteuse, car l'interprète du tubesque « Welcome To The Party » (et ses 35 millions de vues sur YouTube) côtoyait déjà la crème du rap US et UK en claquant des feat. avec Skepta, Nicki Minaj, Travis Scott ou Quavo. Et ce moins d'un an après son apparition sur les radars du rap jeu. Excusez du peu.
Qu'est ce qui différencie alors Pop Smoke de la masse des « drillers » qui squattent DatPiff ? Ici, les quelques éléments de réponse à ce succès fulgurant se trouvent dans cette voix caverneuse digne de Gérard Darmon, un flow qui emprunte autant à la rythmique grime si particulière de Londres (le démarrage cadencé sur « Get Back ») qu'à la noirceur de New-York (on pense à « Foreigner » ), des productions UK drill sombres comme une ruelle de Gotham City, et un sens aigu du turn-up pour couronner le tout. C'est d'ailleurs via des connexions avec la scène drill britannique, notamment la Traphouse Mob et son producteur phare 808 Melo que le New-Yorkais a peaufiné sa recette afin d'éclore au vu et au su de tous. Cependant, ne nous voilons pas la face, Pop Smoke ne s'éloigne pas d'un iota des canons du gangsta rap : de l'egotrip par palettes entières (She know that papi outside, she know I'm the king of New York sur « Christopher Walking »), une glorification de la violence ("I give two shots to the enemy / hope he remember me" sur « Invincible »), une soif inextinguible pour amasser des « benjamins » et une passion pour les boules grassouillets.
Pourtant, au-delà de cette imagerie américaine éculée, lancer Meet The Woo 2 c'est s'offrir une plongée digne de la série The Wire au cœur de la rue, entre descente dans les sous-sols sordides des trap house et face à face avec un calibre chargé. Une musique qui transpire le vécu donc, et qui n'a rien d'étonnant lorsqu'on s'attarde sur le parcours chaotique de Bashar Jackson, entre deals de drogues et assignation à domicile pendant deux ans pour port illégal d'arme. Quoi de mieux que les sonorités obscures de la drill - avec ses drums nerveuses et ses basses ronflantes - pour mettre en musique la pauvreté et la violence qui continuent encore et toujours de ronger les quartiers afro-américains.
Cette volonté de coller au plus prêt du réel et d'en être le porte-voix, Pop Smoke y portait une attention toute particulière comme il l'expliquait fin 2019 au magazine The Face: "I make music for that kid in the hood that’s gotta share a bedroom with like four kids – the young kids growing up in poverty". C'est dans cette veine sombre que baigne Meet the Woo 2, prolongement logique du premier opus dans ses thématiques et sonorités. Une énergie qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle d'un certain Wacka Flocka à la sortie du désormais classique Flockaveli. Flockaveli, où l'on croisait des textes qui tombent aujourd'hui à propos :« live by the gun, I must die by the gun »... Car cette mort violente nous rappelle à quel point les postures thug ne sont souvent pas feintes aux Etats-Unis. Et c'est avec une drôle de sensation au bide que l'on entend résonner le refrain d' « Invincible », le morceau d'ouverture de cette ultime mixtape : "I said I feel invincible / It's a hundred niggas in the spot / I'm walkin' through 'em".
Cette invincibilité ne restera malheureusement que purement incantatoire, et c'est avec une pointe de tristesse que l'on doit se résoudre à se dire que ce sera la première et dernière chronique que l'on écrira au sujet de Pop Smoke. RIP