Me
Empress Of
On espère que vous avez de nous l’image de gens consciencieux, de mélomanes boulimiques, dont le travail d’écoute - tout en intelligence et discernement, bien sûr - s’appréhende dans une perspective qui conjugue plaisir personnel (ou pas) et volonté de propagation de la bonne parole (ou pas).
Rassurez-vous, à quelques détails près, cette description nous correspond. Puis par moments, il faut se rendre à l’évidence : on reste des consommateurs curieux mais foutrement lambda, occasionnellement dépassés par une actualité plus chronophage que du binge watching de The Wire quand tu découvres le truc cinq ans après tous tes potes.
Cela veut donc dire qu’il arrive qu’on vous parle d’artistes qu’on n’a pas la prétention de suivre depuis le premier EP sorti en cassette sur un obscur label béninois, mais qu’on a découvert en même temps que tous les lecteurs de Pitchfork le jour où le magazine a dégainé son arme ultime, la mention "Best New Music". Et ce premier album d'Empress Of peut se targuer d'un 8.2 sur Pitchfork, justement. Pourtant, c’est pas faute de voir le projet de Lorely Rodriguez cité depuis des mois, c’est pas faute d’avoir reçu des mails laudatifs de la part de son label ou d’avoir pu écouter le disque avant tout le monde. Mais voilà, human after all comme disaient les deux autres zouzous.
Et là, le constat est sans appel: avec une musique qui vogue quelque part entre les univers synth-pop et R&B 2.0, Empress Of assied son œuvre bien dans son époque. Et le fait avec la manière, même si à l'heure actuelle elle nous fait d'abord penser aux travaux de certains de ses contemporains qu'on aime beaucoup. En effet, quand on ne croit pas entendre les voix féminines des Dirty Projectors d'un bout à l'autre du disque, on pense à l'art-rock bien classieux d'une St Vincent cuvée 2014 ou à l'electro-pop hipsterisante de cette chère Grimes. Gros name dropping de bâtards, vous en conviendrez.
Plein de candeur et de vulnérabilité, Me a tout du journal de bord d'une Brooklynite un peu paumée, en quête de repères, et qui trouve son salut dans une musique simple et une écriture limpide. Car après quelques écoutes à peine, les choses sont claires: on pense avoir trouvé le disque cool mais pas renversant non plus, et pourtant on se retrouve avec ses plus belles mélodies dans le crâne sans avoir rien demandé. Et le pire dans tout cela, c'est que fredonner des titres comme "How Do You Do It" ou "Water Water" sous la douche ou dans le métro ne pose pas le moindre problème. C'est même le genre de saine dépendance qui nous fait ressortir un disque dont on se plait alors à explorer les nombreux recoins, tout heureux que nous sommes de voir une carrière prendre son envol bien pépouze.