mbv
My Bloody Valentine
Il serait faux de dire que ce troisième opus de My Bloody Valentine nous l'attendions, car en vérité il y a bien longtemps qu'on n'y croyait plus. Pour être complément honnête, on n'en avait même un peu rien à foutre d'un disque annoncé depuis des plombes sans aucun véritable indice laissant présager sa sortie. D'ailleurs le terme d'arlésienne que les médias ont largement repris ce week-end pour le qualifier après sa sortie surprise (même Le Monde y est allé de son papier, c'est dire) est plus que justifié : plus fort que Chinese Democracy que les Guns N' Roses ont mis "seulement" 15 ans à sortir, le troisième opus de MBV est annoncé depuis 1992. Autant dire que Dr. Dre peut encore prendre son temps pour Detox s'il veut battre le record de l'album le plus longtemps repoussé.
Mais au delà de l'attente suscitée puis dépassée et finalement ravivée par les annonces de ces dernières semaines, ce disque, que vaut-il ? Le son de MBV, novateur à l'aube des nineties, a-t-il encore du sens aujourd'hui ?
Une chose apparaît clairement dès la première écoute : ce n'est pas un raté. C'est peut-être trivial à noter mais pour un groupe séparé depuis dix-huit piges et qui n'a rien sorti depuis vingt-deux, c'est déjà un bon point. On peut même dire que le résultat est inespéré : les premières mesures de "She Found Now" nous replongent directement dans un shoegaze noisy inimitable, essence du son de My Bloody Valentine. "Only Tomorrow" et "Who sees you" convoquent la brume et l'orage qui faisaient la sève de Loveless. Nul doute qu'il y a du travail dans le son, et une volonté de reprendre les choses là où elles on été autrefois laissées.
On se demande alors furtivement ce qu'il en est de ce souffle, de cette rage voilée qui portait le propos dans Isn't Anything et Loveless, si aujourd'hui ces guitares toutes en furie contenue, ces nappes et ces voix enveloppantes font toujours sens. Ecouter My Bloody Valentine en 2013, n'est-ce pas comme prêter attention à un écho de cette jeunesse qui s'est fait la malle il y a un bail, notre jeunesse à nous qui avons troqué nos colères et nos rêves contre des costards froissés et des regards fatigués dans le RER ? À moins que ce ne soit justement ça le propos et l'enjeu du disque, la lente dérive et soi-même dans le temps. Car si la musique de MBV n'est pas assez facile d'accès pour être qualifiée d'universelle, elle paraît aujourd'hui, pour autant que l'on puisse le mesurer à notre échelle, presque intemporelle.
Déjà quand Kevin Shields avait repris du service pour la bande originale de Lost In Translation de Sofia Coppola, il y a dix ans (et oui déjà), les rythmes de "Sometimes" sonnaient toujours juste, comme sonne juste aujourd'hui cette pulsation sur "Is This and Yes" qui semble nous dire qu'il faut avancer coûte que coûte. Mais avancer vers quoi ? Quels sont ce "New You", cet "Another Way" ? C'est justement à partir d'"In Another Way" que la fin du de l'album s'égare un peu, changeant légèrement de braquet, augmentant le volume, frôlant le trop-plein de nappes et de riffs. Shields veut-il simplement envoyer la sauce pour nous prouver qu'il en a encore sous la pédale à disto, où est-ce le signe que sa musique sait évoluer et qu'elle va le faire ? Impossible à dire aujourd'hui, incertains que nous sommes d'être face à un retour unique, un simple rappel et puis s'en va, ou alors au début d'une nouvelle ère pour le groupe. Et vu le personnage, gageons que toutes les options sont sur la table. Quoi qu'il en soit, ce troisième opus ne dénature pas la discographie de My Bloody Valentine, loin de là, la magnifiant plutôt en lui rendant un bel hommage