Maths + English
Dizzee Rascal
J’ai toujours eu un rapport particulier avec le hip-hop, à mi-chemin entre la fascination et l’exécration. En fait, le problème principal tient en deux mots : tri sélectif. Comme pour nos chères ordures ménagères, il y a – plus que pour certains courants musicaux – un besoin essentiel de faire le tri dans les productions de rap, qu’elles soient françaises ou anglo-saxonnes. Mon peu d’attachement à la musicalité de la langue française fait que c’est surtout le second cas qui m’intéresse. Mais là encore, il convient de faire deux distinctions : le rap américain qui, submergé par l’abondance de sa production, parvient encore à conjuguer réussite artistique et commerciale (Kanye West par exemple), et le rap britannique qui s’il brille par sa modernité n’a pas encore réussi à se faire une place au soleil de la bande FM. Est-ce un bien ou un mal ? Sans doute les deux si l’on considère que cela évite au genre de faire des concessions mais qu’il est néanmoins regrettable de voir les Black Eyed Peas et autres 50 Cent vendre mille fois plus que The Streets, M.I.A. ou Wiley.
Heureusement, ce triste état de fait n’empêche pas de voir éclore de brillantes carrières. Prenons un cas d’école particulièrement exemplaire : Dizzee Rascal, charmant bambin de la banlieue est de Londres, connu pour sa bonne humeur et son langage châtié. Après un premier album particulièrement incisif et réussi en 2003 (Boy In Da Corner, porté par les impeccables singles "Fix Up Look Sharp" et "I Luv You") et une suite un peu trop rapide en 2004 (Showtime), le jeune homme a eu la bonne idée de disparaître quelques temps pour mieux préparer son retour en fanfare.
Car tenez-vous le pour dit, Maths + English est sans doute l’une des meilleures productions hip-hop que vous pourrez entendre cette année. Puissant, tribal, poétique en diable (voir les titres "Pussyole" et "Suck My Dick") et fourmillant de petites trouvailles soniques assez jouissives, ce troisième album à la pochette flashy est un panorama en 14 vignettes de ce que peut proposer de mieux le rap quand il reste à la fois fidèle à ses racines sans se fermer de nouveaux horizons. De fait, le bonhomme n’a aucun mal à passer de l’aérien et presque zen "World Outside" au furieux "Sirens", avec ses faux airs de Cypress Hill et ses guitares saturées. Et pourquoi ne pas s’offrir un petit détour ska avec "Da Feelin" et surfer sur le succès des toujours surestimés Arctic Monkeys en invitant leur chanteur Alex Turner à pousser la chansonnette sur "Temptation" ?
L’audace peut surprendre mais elle est payante ! Quant au reste, il est classique mais efficace, avec une mention toute particulière au sublime "Where’s Da G’s ?", rare featuring d’un disque qui n’a pas besoin d’artefacts pour tenir la route. Alors non, cet album ne suffira sans doute pas à me réconcilier complètement avec le hip-hop et ses albums à rallonge, bourrés d’interludes inutiles, de pseudo-guests stars et de remix pourris. Car loin d’être la face visible d’un mouvement musical fertile, Dizzee Rascal ressemble plus que jamais à un OVNI musical, aussi brillant que solitaire. Autant de raisons de se jeter sur cet album les yeux fermés et les oreilles grandes ouvertes.